27 octobre 2020 — Deuxième lecture--Ajournement du débat — Projet de loi sur le commissaire à l’enfance et à la jeunesse du Canada
La sénatrice Moodie
Propose que le projet de loi S-210, Loi constituant le Bureau du commissaire à l’enfance et à la jeunesse du Canada, soit lu pour la deuxième fois.
— Honorables sénateurs, c’est un grand honneur de prendre la parole à l’étape de la deuxième lecture du projet de loi S-210, Loi constituant le Bureau du commissaire à l’enfance et à la jeunesse du Canada, dont je suis la marraine.
Le projet de loi a initialement été présenté en juin dernier. J’ai maintenant l’honneur de le présenter de nouveau. Le mois de juin semble parfois très loin et beaucoup de choses ont changé au cours des derniers mois. Je vais donc parler aujourd’hui de ce que nous savons des besoins actuels des enfants et expliquer pourquoi le projet de loi est plus pertinent et nécessaire que jamais.
Près de 30 ans après la ratification de la Convention relative aux droits de l’enfant, nous n’avons toujours pas de commissaire à l’enfance et à la jeunesse. Nous n’avons pas rempli notre engagement d’agir au nom des enfants. De nos jours, les enfants canadiens sont toujours dans un état de crise qui dure depuis des décennies. Plus que jamais, il faut prendre des mesures immédiates. Voilà pourquoi nous devons faire du projet de loi une priorité.
Quelle est la situation des enfants aujourd’hui, honorables sénateurs? J’ai de nouvelles données qui révèlent une triste histoire de leadership raté pour le Canada en tant que pays. Les suicides sont aujourd’hui la première cause de décès chez les enfants âgés de 10 à 14 ans, tandis que pour les jeunes âgés de 15 à 17 ans, c’est la deuxième cause de décès. Au Canada, des milliers d’enfants meurent chaque année des suites de blessures qui auraient pu être évitées, et les accidents restent la cause de décès pour beaucoup d’entre eux.
De nouvelles données révèlent qu’entre 2017 et 2018, la violence familiale contre les enfants et les jeunes a augmenté de 7 %. Un enfant sur trois était victime d’abus, un enfant sur cinq vivait dans la pauvreté et un enfant sur dix vivait dans l’insécurité alimentaire. En 2019, l’Assemblée des Premières Nations a constaté que 47 % des enfants des Premières Nations dans les réserves vivaient dans la pauvreté.
En ce qui concerne la santé et le bien-être des enfants, le classement mondial du Canada a reculé, et nous disposons de données récentes qui le montrent. Plus de 25 % des enfants sont obèses ou en surpoids. Les préoccupations en matière de santé mentale ont considérablement augmenté au cours de la dernière décennie.
Selon le bilan de l’UNICEF sur le bien-être des enfants de 2020, qui vient d’être publié en septembre, le Canada se classe au 30e rang sur 38 pays de l’OCDE en ce qui concerne les mesures du bien-être général des enfants.
Il y a de nombreux signes inquiétants, notamment le taux croissant de mortalité infantile. Sur 38 pays, nous sommes au 28e rang.
Nous sommes également témoins de signes inquiétants aujourd’hui : nos nourrissons meurent à un taux qui est parmi les plus élevés des pays de l’OCDE; le taux de mortalité infantile du Nunavut est trois fois plus élevé que la moyenne nationale. Le rapport souligne le lien entre la mortalité infantile, les inégalités de revenus des pays et la pauvreté parmi les enfants.
Voici ce que rapporte l’UNICEF :
Au Canada, la mortalité infantile est un important marqueur de la pauvreté extrême et de l’exclusion sociale que vivent toujours les populations autochtones et noires. Par exemple, la mortalité infantile est 3,9 fois plus élevée dans les régions ayant une plus forte population d’Inuits et 2,3 fois plus élevée dans les régions ayant une plus forte population de Premières Nations.
Tout ce dont nous avons entendu parler aujourd’hui se passe dans nos collectivités, dans nos quartiers et sous nos yeux. Nous devons nous demander ce que nous ferons pour résoudre ces problèmes.
Chers collègues, plus troublante encore que les lacunes révélées par ces statistiques est notre inaction comme parlementaires et comme pays. Nous savons que les enfants sont nos citoyens les plus vulnérables. Ils comptent sur leurs parents, leurs tuteurs, leurs professeurs, leurs entraîneurs et les membres de leur collectivité en général pour faire entendre leurs voix et pour leur offrir une protection et des soins.
Il s’agit du sort d’enfants canadiens. Nous ne pouvons plus faire comme si cette crise n’existait pas.
Je vous dirais que, peu importe leur lieu de naissance, leur ethnicité, leur race, leur orientation sexuelle, leur sexe ou leurs capacités physiques ou mentales, les enfants et les jeunes sont notre ressource la plus précieuse. Ils méritent tous qu’on leur donne toutes les chances de se développer, de s’épanouir et de réussir.
Honorables sénateurs, nous avons l’obligation de faire tout en notre pouvoir pour faire du Canada le meilleur pays pour les enfants. Nous savons qu’il reste encore du travail à faire en ce sens. La création du bureau du commissaire à l’enfance est un sujet dont nous discutons et débattons depuis trop longtemps. D’ailleurs, nous nous sommes aussi soustraits à notre obligation au titre de la Convention relative aux droits de l’enfant. Il est temps de changer tout cela.
En 1979, l’honorable sénatrice Landon Pearson a consacré sa carrière à défendre les droits des enfants canadiens. Le Canada était alors reconnu comme un chef de file en matière de promotion des droits et du bien-être des enfants. Nous avons rapidement adopté la Convention relative aux droits de l’enfant lorsqu’elle a été rédigée, mais malgré la recommandation des Nations unies en ce sens, nous n’avons pas créé le poste de commissaire fédéral, et nous n’avons pas mis en œuvre toutes les dispositions de la convention.
Depuis que ces recommandations ont été formulées, il y a 25 ans, la situation des enfants du Canada n’a fait qu’empirer. Ils sont vulnérables parce que nous n’avons pas réglé les problèmes soulevés. Quand la COVID-19 a frappé au début de l’année, nous n’étions pas outillés pour les protéger.
Le Canada compte depuis de nombreuses années de solides défenseurs des droits des enfants. J’ai mentionné dans mon dernier discours trois de nos collègues, les sénateurs Lovelace Nicholas, Jaffer et Munson, qui ont travaillé sans relâche pour recommander des améliorations et faire avancer les choses dans ce domaine. Il y a 13 ans, ils siégeaient au Comité sénatorial permanent des droits de la personne, présidé par la sénatrice Andreychuk, quand le comité a étudié les droits des enfants et publié le rapport Les enfants : des citoyens sans voix. L’une des principales recommandations de ce rapport, formulée il y a 13 ans, portait sur la création d’un commissariat fédéral aux enfants, dont l’objectif serait de promouvoir une gouvernance efficace et responsable et d’offrir des services uniformisés à tous les enfants.
Il y a 13 ans, nous savions déjà, au Sénat, ce qu’il fallait faire. Le temps est venu d’agir.
Sans que cela enlève quoi que ce soit au Sénat, les députés de tous les partis ont compris eux aussi que le pays avait besoin d’un commissaire à l’enfance et à la jeunesse, et bon nombre d’entre eux ont multiplié les efforts pour que l’État légifère en ce sens. De 2009 à 2019, le ministre Marc Garneau, qui est actuellement en fonction, l’ex-ministre Irwin Cotler, l’ex-ministre Kellie Leitch et la députée Anne Minh-Thu Quach ont chacun présenté un projet de loi afin que ce poste soit créé.
Pas plus tard qu’il y a deux semaines, j’ai reparlé à certaines de ces personnes, et je suis ravie de vous annoncer que la Dre Leitch, l’ex-ministre Cotler et les sénatrices Pearson et Andreychuk sont encore tous en faveur de l’entrée en fonction d’un commissaire à l’enfance et à la jeunesse.
À l’extérieur du Parlement aussi, cette idée récolte de nombreux appuis. La Coalition canadienne pour les droits des enfants réclamait dès 1991 qu’un tel poste soit créé. Aujourd’hui, UNICEF Canada, le Conseil canadien des organismes provinciaux de défense des droits des enfants et des jeunes, l’Association du Barreau canadien, l’Association nationale des centres d’amitié, l’organisme Santé des enfants Canada, les Clubs garçons et filles du Canada et de nombreux autres sont favorables à ce projet.
Une autre étape importante a été franchie en 2019, puisque l’appel à la justice no 12.9 de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées réclamait alors la nomination d’un commissaire dans chacune des provinces et chacun des territoires en plus d’un commissaire national.
En mars 2019, le Conseil canadien des défenseurs des enfants et des jeunes — l’organisation qui regroupe les défenseurs des enfants et des jeunes des provinces et territoires du Canada — a aussi demandé la création d’un poste de commissaire à l’enfance et à la jeunesse. Voici un extrait de son communiqué :
Au cours de plusieurs années, nous avons demandé qu’un poste d’officier parlementaire indépendant soit créé pour mettre l’accent sur les droits d’enfants autochtones, les jeunes immigrants du Canada et les jeunes impliqués dans le système de la justice, de la santé et de la santé mentale. Encore trop d’enfants glissent entre les failles de nos mandats législatifs parce qu’ils relèvent des services subventionnés par le gouvernement fédéral. Le manque de ressources qui visent à protéger les droits de ces jeunes est flagrant [...]
L’UNICEF, dans un document d’accompagnement de son dernier bilan, le Bilan Innocenti 16 de l’UNICEF, indique que la création d’un poste de commissaire est une mesure qui change la donne pour les jeunes. Dans le rapport intitulé Aux antipodes : document canadien d’accompagnement du Bilan Innocenti 16 de l’UNICEF, on peut lire ce qui suit :
Les enfants ne perçoivent pas le bien-être de la même façon que les adultes [...] Les voix qui ont très peu d’occasions de se faire entendre doivent être incluses [...] Les enfants et les jeunes ont montré au cours des derniers mois qu’ils ont l’intention de participer aux discussions qui façonneront leur avenir. Pour les adultes et les décideurs, il est temps d’écouter, d’apprendre et d’agir. La création d’un poste de commissaire national à l’enfance et à la jeunesse, et l’abaissement de l’âge de voter sont des mécanismes qui nous aideraient à y arriver.
L’organisme Les Enfants d’abord Canada, dans son rapport intitulé Raising Canada 2020, a affirmé ce qui suit :
Ce bureau indépendant du gouvernement joue un rôle crucial dans la défense des enfants et des jeunes, en veillant à ce qu’ils soient prioritaires dans l’élaboration de la législation fédérale, en consultant et en sollicitant directement les enfants, et en rehaussant le profil des enfants au Canada. Aujourd’hui plus que jamais, un commissaire à l’enfance et à la jeunesse est nécessaire pour promouvoir les droits des jeunes et tenir le gouvernement responsable.
J’aimerais souligner les paroles d’une grande militante, une jeune femme nommée Sarah Knockwood, membre de la Confédération mi’kmaq de l’Île-du-Prince-Édouard et fondatrice de la Table des enfants et des jeunes de l’Île-du-Prince-Édouard. Voici quelques extraits d’une lettre que Sarah m’a écrite :
Salutations! Je m’appelle Sarah Knockwood. Je voulais vous en dire plus sur qui je suis et sur mon point de vue concernant le projet de loi [...]
J’aimerais qu’un poste de commissaire national soit créé pour faire pression sur le gouvernement. Ce serait également formidable que ce soit un autochtone [...] C’est très important pour moi parce que cela signifie que les communautés peuvent grandir et s’améliorer. Cela signifie que nous pouvons donner de l’espoir aux enfants.
Sarah poursuit en ces termes :
Ce qui se passe ici n’est pas juste. En tant qu’enfant autochtone, je peux vous dire que les enfants perdent espoir [...]
Nous en avons assez et nous sommes prêts à nous battre pour défendre notre peuple. Le problème, c’est qu’il y a 94 appels à l’action, mais qu’on ne fait rien à leur sujet. Rien n’est fait. Bon nombre des lois qui nous concernent étant du ressort du fédéral, les intervenants provinciaux sont impuissants à changer les choses [...]
Je suis optimiste. Je sais que c’est possible d’y arriver [...] L’aide qu’apporterait un commissaire national serait un pas de géant vers la guérison de tout le monde. Pas seulement en ce qui a trait aux problèmes des Autochtones, mais aussi en ce qui a trait à ceux des autres [...]
Je m’appelle Sarah Knockwood. J’ai 15 ans et j’essaie de réussir à l’école [...] Je venais de me joindre cette année à la Table des enfants et de la jeunesse de l’Île-du-Prince-Édouard quand la COVID-19 a forcé la fermeture des écoles [...]
Chers collègues, j’ai été immensément touchée par ces mots, parce que, même lorsqu’on se trouve dans les meilleures conditions possible, grandir n’est pas facile, mais, pour trop d’enfants canadiens, grandir est un combat, une lutte pour réussir à survivre et à trouver de l’espoir.
Nous avons un rôle à jouer pour assurer le bien-être de nos enfants et veiller à ce qu’ils s’épanouissent. Ce rôle passe par l’accueil de voix telles que celle de Sarah Knockwood au sein de notre démocratie et par une reddition de comptes accrue. Nos enfants ont le droit d’être entendus et nous avons la responsabilité de soutenir ce droit.
En 2021, notre mise en œuvre de la Convention relative aux droits de l’enfant fera de nouveau l’objet d’une évaluation par les Nations unies. De nombreux organismes canadiens nous ont fait part de leurs rapports dans lesquels ils font le point sur l’état de la mise en œuvre de cette convention par le Canada. La création du poste de commissaire à l’enfance et à la jeunesse est une recommandation fondamentale de tous ces organismes.
Si le Canada souhaite appliquer fidèlement les principes de la Convention relative aux droits de l’enfant, et s’il tient à jouer son rôle de chef de file international en matière de droits de la personne, il doit créer une instance pour représenter les intérêts des enfants et des jeunes. Honorables sénateurs, il y a encore beaucoup à faire à cet égard. Comme l’a dit Marc Garneau en 2012 : « Il n’est pas question aujourd’hui de faire de la partisanerie, particulièrement quand on traite d’un sujet aussi important que nos enfants. »
Aujourd’hui, je propose donc une première étape dans la lutte contre la crise à laquelle sont confrontés les enfants ici au Canada : la création du poste de commissaire à l’enfance et à la jeunesse. Voici mes raisons. Premièrement, les Canadiens se sont prononcés. Ils veulent un commissaire à l’enfance et à la jeunesse. En novembre 2019, un sondage commandé par Santé des enfants Canada a montré que 73 % des répondants appuient la création d’un commissaire fédéral à l’enfance et à la jeunesse. De manière générale, la population canadienne estime que le système actuel ne répond pas très bien aux besoins des enfants, pas plus qu’il ne leur permet d’être entendus. L’établissement d’un commissaire fédéral à l’enfance et à la jeunesse est fortement appuyé par le public canadien et est considéré comme un besoin urgent.
La deuxième raison, c’est que les provinces le souhaitent. Notre proposition jouit de l’appui du Conseil canadien des défenseurs des enfants et des jeunes, un conseil composé de défenseurs et d’ombudsmans provenant de toutes les provinces et de tous les territoires où il y a un bureau à cet effet. Selon eux, le commissaire à l’enfance et à la jeunesse serait un partenaire fédéral qui a pour mission d’accroître les efforts de défense des intérêts des enfants et des jeunes. On nous a souvent dit que les autorités fédérales doivent être saisies de nombreuses questions liées aux jeunes et aux enfants, mais qu’il n’existe pas de démarche claire ni de partenaire approprié vers lequel les défenseurs provinciaux et territoriaux pourraient se tourner. À qui pourrions-nous faire appel pour combler cette lacune en facilitant les communications avec Ottawa, en militant pour des enjeux qui pourraient avoir été loupés par le gouvernement et en procédant à la mise en commun des pratiques exemplaires à l’échelle du pays? Personne ne serait mieux placé qu’un commissaire fédéral.
La qualité de vie et le bien-être des enfants canadiens dépendent grandement du lieu où ils habitent, une réalité qui dérange. Le Conseil canadien des défenseurs des enfants et des jeunes estime qu’un commissaire fédéral jouerait un rôle essentiel dans la lutte contre ces inégalités. La crise de la COVID nous a montré ce que nous pouvons faire quand nous travaillons ensemble; c’est un des nombreux enseignements qui en ressort. La collaboration est absolument nécessaire. Les défenseurs des enfants et des jeunes provinciaux et territoriaux le comprennent et accordent une grande importance à cette collaboration. Le Canada compte de nombreux organismes formidables qui défendent les droits des enfants, mais ils reconnaissent aussi qu’ils ne peuvent pas exercer la même influence ni avoir la même incidence qu’un mandataire indépendant du Parlement.
Pourquoi avons-nous besoin de quelqu’un pour défendre les enfants? Chers collègues, il semblerait que bien des Canadiens ne soient pas conscients de la crise qui sévit chez les enfants, bien que la pandémie l’ait fait ressortir récemment pour un grand nombre d’entre nous. Il est maintenant plus évident que jamais que les enfants canadiens ont besoin d’un défenseur de leurs droits qui mettrait en relief les problèmes qui les touchent; amplifierait leur voix relativement à ces problèmes; pourrait analyser de façon critique les actions du gouvernement au fur et à mesure et évaluer l’incidence des politiques sur le quotidien des enfants; nous aiderait à comprendre les politiques du gouvernement qui n’ont pas fonctionné, n’ont pas été assez loin ou, dans certains cas, ont causé du tort. Qu’il s’agisse des changements climatiques, de l’insécurité alimentaire, de la pauvreté, de la santé mentale et physique et de la vie à l’ère numérique, les enfants doivent faire face à de nombreux défis qu’on ne peut comprendre que par un travail approfondi et constant et qui nécessitent des politiques judicieuses reposant sur l’information et les données recueillies dans le cadre de vastes consultations et enquêtes. Voilà le genre de travail qui pourrait être fait par le commissaire à l’enfance et à la jeunesse.
Une partie importante du travail du commissaire visant à défendre les intérêts des enfants et des jeunes consiste à communiquer directement avec eux pour que l’on puisse entendre de leur bouche ce qu’ils font et ce qu’ils vivent afin de leur fournir un moyen de trouver leurs propres solutions, c’est-à-dire des solutions apportées par les enfants à leurs problèmes. Nous devrions écouter ces solutions, les prendre en considération et les mettre en œuvre. En ce qui concerne les domaines où les Canadiens sont aveugles à la crise que vivent nos enfants, le travail du commissaire permettrait de susciter une prise de conscience nationale et de faire du Canada un pays plus accueillant pour les enfants.
Pourquoi la reddition de comptes est-elle nécessaire? Les gouvernements font des promesses qu’ils ne respectent pas et créent des politiques qui ne répondent pas aux besoins pour lesquels elles ont été créées. Toutefois, comme les enfants n’ont pas voix, il n’y a pas de conséquences politiques. Les gouvernements ne sont pas tenus de rendre des comptes quant à l’application de principes importants, tels que la Convention relative aux droits de l’enfant, et au besoin de garantir l’intérêt des enfants conformément au principe de Jordan et à d’autres politiques de ce type.
Honorables sénateurs, il est nécessaire d’améliorer considérablement la reddition de comptes. La reddition de comptes est essentielle pour garantir que les gouvernements agissent dans l’intérêt des enfants et que nos politiques tiennent compte de leurs voix et de leurs besoins.
La reddition de comptes découle de la transparence. Un commissaire nous permettrait de vraiment comprendre l’incidence des mesures gouvernementales, même si le gouvernement de l’époque se dérobe à sa responsabilité d’être transparent. Il nous permettrait d’évaluer les politiques en fonction des résultats et d’exiger mieux des gens au pouvoir. La reddition de comptes découle de l’indépendance. Les Canadiens doivent avoir l’assurance que le commissaire est loyal envers les enfants canadiens plutôt qu’envers le gouvernement de l’époque. La reddition de comptes signifie aussi qu’il faut demander l’opinion des enfants et amplifier leur voix.
Si les politiciens doivent rendre des comptes aux enfants, de vrais changements pourront s’opérer. Abaisser l’âge du droit de vote contribuera à atteindre cet objectif.
Le Bilan de l’UNICEF, qui évalue la performance du Canada pour assurer le bien-être des enfants par rapport à 38 pays de l’OCDE, nous montre que, même si la richesse économique du Canada a tendance à augmenter, de nombreux aspects de la vie des enfants ne s’améliorent pas. En fait, le Canada fait partie d’une poignée de pays riches qui disposent des conditions idéales pour grandir, mais il présente les pires résultats pour les enfants. Cette situation s’explique par le fait que les politiques publiques du Canada’s ne traduisent pas la richesse nationale en conditions idéales pour grandir. Le Canada dépense moins pour que les enfants aient une enfance heureuse que la plupart de ses pays pairs. Les avancées marginales dans les politiques publiques font en sorte qu’il y a encore de grands écarts entre les enfants dans de nombreux aspects de leur vie, ce qui fait que les avancées pour les enfants en général sont également marginales.
Oui, nous avons fait quelques progrès pour améliorer le bien-être des enfants, même si les faits montrent qu’on peut et qu’on doit faire beaucoup plus. Les efforts déployés pour réduire la pauvreté chez les enfants notamment au moyen de l’Allocation canadienne pour enfants et du Conseil consultatif national sur la pauvreté ont été relativement fructueux, mais nous avons également constaté de nombreux reculs. En Ontario, nous avons perdu notre principal porte-parole pour la défense des enfants.
Malgré l’urgence de réagir à la crise au pays, notre réaction est au mieux léthargique. De véritables solutions ont été proposées, et celles-ci attendent que le gouvernement s’y intéresse. Prenez, par exemple, la stratégie nationale pour l’autisme que le sénateur Munson défend depuis de nombreuses années, ou encore les politiques relatives à la publicité d’aliments malsains pour la santé auprès des enfants, défendues par notre ancienne collègue la sénatrice Greene Raine.
Même aujourd’hui, au milieu de l’une des plus grandes crises de notre époque, nous devons encore réfléchir aux conséquences de la pandémie sur ceux qui en subiront les effets le plus longtemps : les enfants.
Il y a des arguments économiques pour justifier le fait d’investir dans les enfants, mais je crains qu’on ne prenne pas soin des jeunes adéquatement en ce moment et que la pandémie cause des torts irréparables. Tandis que nous pensons à investir dans la société canadienne pour raviver les industries et les emplois, je crains que nous n’investissions pas dans les enfants et les familles alors qu’ils en ont besoin plus que jamais. N’oublions pas, en effet, que le Canada a un piètre bilan dans ce domaine. Il fait triste figure au chapitre des sommes consacrées aux enfants : celles-ci correspondent à 1,68 % de notre PIB, alors que la moyenne de l’OCDE se situe à 2,38 % et que les pays en tête de peloton investissent plus de 3 % de leur PIB dans les enfants.
Les faibles investissements que nous consacrons aux enfants ont des conséquences. Prenons par exemple l’Allocation canadienne pour enfants. Nous savons que cette allocation a certaines retombées positives. Elle a notamment aidé un quart de million de familles à sortir de la pauvreté et a contribué à la croissance économique, puisqu’elle représentait 2 % du PIB pendant l’exercice financier 2017-2018. Malgré cela, elle ne va pas assez loin. À titre d’exemple, au sein de l’OCDE, le Canada se classe au 33e rang au chapitre de la participation à l’éducation préscolaire, et il figure parmi les 10 pays où les services de garde coûtent le plus cher.
Alors, même si un demi-million d’enfants sont sortis de la pauvreté, on n’a pas fait grand-chose d’autre pour améliorer leur sort. Bon nombre d’entre eux sont encore pauvres, car je rappelle qu’il y a une grosse différence entre être juste au-dessus du seuil de pauvreté et mener une vie confortable.
Les inégalités de revenu continuent de se creuser au Canada, et il ne manque pas de données pour montrer qu’il s’agit d’un facteur important de pauvreté chez les enfants. Il s’agit également d’un indice fiable pour mesurer le bien-être des enfants. Nous devons comprendre que, plus les inégalités de revenu se creusent et plus la mortalité infantile augmente.
Le problème des inégalités de revenu, c’est que de nombreux enfants sont laissés pour compte. C’est particulièrement vrai pour les enfants noirs, autochtones et handicapés. La perspective d’une reprise en « K », qui est de plus en plus probable, est une très mauvaise nouvelle pour les enfants. Pour certains, c’est la mort qui les attend.
Le Canada est un pays vaste et diversifié. Les Canadiens n’ont peut-être pas tous les mêmes besoins selon l’endroit où ils vivent, mais ils ont tous droit à des services, des soins et du soutien de qualité de la part de l’État, et c’est encore plus vrai quand il s’agit des enfants. Mais comme on l’a vu, qui dit investissements timides dit aussi résultats médiocres. Le bien-être des enfants est un problème de nature économique.
Les enfants le savent lorsqu’il n’y a pas beaucoup de nourriture à la maison ou lorsque les factures du mois ont failli ne pas être payées. Ils ressentent le stress de leurs parents et subissent parfois davantage de mauvais traitements. À l’âge où ils devraient se servir de leur imagination et de leur créativité dans des jeux et des activités d’apprentissage, ils doivent affronter une dure réalité contre laquelle ils sont peu outillés.
Les répercussions sont pires qu’elles ne paraissent. Lorsqu’un enfant porte le lourd fardeau de la pauvreté et de la faim, il ne peut pas s’émerveiller en contemplant les étoiles. La pauvreté étouffe la créativité, l’imagination, la curiosité, l’ingéniosité et la passion dont on a besoin dans une société. En n’affectant pas suffisamment de fonds aux enfants, nous privons le Canada de la pleine contribution de personnes qui, une fois devenues adultes, lui apporteraient leur talent, leur intelligence et leur capacité à changer le monde. Pourquoi voudrions-nous faire une chose pareille?
Le commissaire à l’enfance et à la jeunesse pourrait forcer les législateurs, les décideurs et les dirigeants canadiens à agir rapidement pour assurer un plus grand niveau de responsabilité. Il pourrait forcer le gouvernement et les parlementaires à ne rien accepter de moins que des mesures réelles et efficaces. Cela implique qu’il faut injecter les fonds là où nous en avons le plus besoin, plutôt que de lésiner sur les moyens à mettre en œuvre pour les enfants du pays.
Les enfants méritent plus que des solutions incomplètes, fragmentées et inefficaces. Ils méritent d’être considérés comme une priorité au lieu d’être négligés. Ils méritent d’avoir un champion qui collaborera pour créer un avenir basé sur une vision et une stratégie à long terme.
Tandis que les Canadiens se débattent avec la nouvelle réalité qui transforme rapidement nos vies, la pandémie de COVID-19 fait très clairement ressortir les problèmes des enfants et des jeunes. La pandémie révèle les facteurs uniques qui contribuent à la vulnérabilité des enfants et le besoin urgent de mettre en place des ressources, des soutiens et des protections qui manquent à tous les enfants canadiens. La pandémie a aggravé la crise qu’ils vivent et a empiré leur situation. Nous les voyons souffrir en silence. L’insécurité alimentaire, la violence familiale, les perturbations dans leur routine quotidienne et leur éducation, les retards dans les soins médicaux et les taux de vaccination qui diminuent comptent parmi les pires problèmes que nous constatons.
Nous nous sommes empressés d’adopter l’éducation à distance sans vraiment penser à la proportion d’enfants qui n’ont pas accès à une connexion fiable à Internet, aux bons appareils ou au soutien des parents qui doivent dispenser l’enseignement à domicile.
Lorsqu’il a été question de déconfinement, oui, nous nous sommes concentrés sur la réouverture des terrains de golf, des bars et des boîtes de nuit. Les écoles et les garderies étaient secondaires. Nous nous sommes concentrés sur l’économie et avons présumé que les problèmes touchant les enfants disparaîtraient d’eux-mêmes.
Nous n’avons pas pris en compte les effets durables sur les enfants, des effets qui perdureront longtemps après les torts qui auront été causés initialement. Nous avons tout simplement supposé que les enfants s’en sortiraient bien, mais ce n’est pas le cas. Nous avons échoué : en plus de certaines mesures nuisibles que nous avons prises, nous n’avons pas accordé aux enfants l’attention qu’ils méritent vraiment.
Nous avons besoin d’un commissaire pour des périodes comme celles-ci. Alors que le Canada devient plus prospère, le bien-être des enfants se détériore. En tant que pays, nous n’avons pas su investir suffisamment et régulièrement dans les familles et les enfants. La question des enfants n’est pas secondaire. Il faut leur accorder toute notre attention.
Un mandataire indépendant du Parlement exigera que le Parlement s’acquitte de ses obligations en ce qui concerne le bien-être des enfants et des jeunes, et veillera au respect de leurs droits.
Le commissaire collaborera avec tous les ordres de gouvernement et avec les communautés afin de travailler au nom des enfants et des jeunes, de défendre leurs besoins, de comprendre et de régler les problèmes auxquels ils sont confrontés, de soutenir et d’étendre le travail des partenaires provinciaux et d’apporter une attention nationale sur les questions qui touchent les provinces, les territoires et les nations.
L’un des aspects les plus importants du rôle du commissaire à l’enfance et à la jeunesse consistera à travailler — en collaboration et sur demande — auprès des Premières Nations, des Métis et des Inuits.
Le commissaire s’associera aux communautés pour tenter de pallier l’incapacité du gouvernement fédéral de remplir ses obligations en vertu de la Constitution envers les enfants et les jeunes Autochtones. Il aidera à répondre à certaines des recommandations formulées dans le rapport de la Commission de vérité et réconciliation du Canada et aux appels à l’action de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées. Il soutiendra la mise en œuvre du projet de loi C-92 en exerçant des pressions sur les gouvernements, au besoin, pour faire avancer les choses.
Dans son rôle, le commissaire pourra être un pont entre les Autochtones et le gouvernement fédéral, particulièrement pour les questions relatives aux enfants, lorsque les peuples autochtones du Canada lui demanderont son aide.
Le commissaire exercera un contrôle sur les lois gouvernementales, il examinera chaque texte de loi et chaque changement de réglementation ainsi que chaque application d’un instrument de politique, et il commentera les conséquences des mesures législatives visant les enfants canadiens et en fera rapport.
Le commissaire collaborerait avec la fonction publique. Il serait une personne-ressource pour les comités parlementaires et il conseillerait les parlementaires. Il leur fournirait rapidement des informations et des données à jour sur la situation des enfants canadiens. Il favoriserait l’utilisation judicieuse des données et la prise de décisions fondées sur des données probantes dans l’élaboration de lois et de politiques.
Le commissaire ferait entendre la voix des enfants et des jeunes dans les discussions politiques et il répondrait aux préoccupations des jeunes Canadiens par l’entremise de consultations en ligne et en personne, où il solliciterait l’opinion des enfants et les rencontrerait lorsqu’ils vivent des circonstances difficiles, à des endroits comme des centres de détention pour les jeunes et d’autres établissements.
À l’instar de tous les autres Canadiens, les enfants méritent d’être entendus. Nous devons les écouter et connaître leurs problèmes et les solutions qu’ils proposent, en plus de créer un endroit sûr où ils pourront nous faire part de leurs préoccupations.
Le commissaire à l’enfance et à la jeunesse aura la responsabilité de sensibiliser tous les enfants et leurs parents ainsi que le reste du Canada aux droits des enfants. Il faut donc qu’il s’agisse d’un agent du Parlement indépendant. Le commissaire doit avoir la capacité de fonctionner en toute indépendance et de s’en servir pour défendre efficacement les droits des enfants. Il devrait être en mesure de voir au-delà des considérations politiques du jour pour se concentrer sur les besoins à long terme des enfants et les porter à l’attention du Parlement. Son travail doit se fonder sur des données probantes. Tous les Canadiens devraient sentir qu’ils peuvent faire confiance au commissaire et que celui-ci ne se laissera pas influencer par le gouvernement du jour.
Le projet de loi S-210 guidera les interactions du bureau du commissaire avec les enfants et les communautés de tous les horizons. Le commissaire reconnaîtra et respectera la souveraineté des peuples autochtones et fournira son appui et son soutien lorsqu’on l’invitera à le faire. Un commissaire efficace possédera des connaissances sur ces communautés, sera sensible à leur culture et à leurs pratiques et les aidera à préserver leur culture et leur langue.
On s’attend, comme Sarah Knockwood, à ce que la structure et les effectifs du bureau reflètent la diversité des collectivités canadiennes, que les postes de direction soient occupés par des gens qui ont l’expérience de la réalité des Canadiens vulnérables et la comprennent.
Mme Knockwood recommande que le premier commissaire nommé soit autochtone, et je suis d’accord. J’estime que c’est une bonne idée.
Le commissaire contribuera de manière importante et durable à tisser des liens solides un peu partout au Canada. Comme nous nous efforçons ensemble de bâtir une société qui convient à tous les enfants, j’ai choisi de présenter le projet de loi et de prononcer mon discours aujourd’hui.
Chers sénateurs, lorsque nous nous sommes réunis en juin, j’ai déclaré que le projet de loi devrait être considéré comme urgent. Aujourd’hui, six mois plus tard, après le début d’une pandémie, nous devons toujours à nos enfants trois choses : obligation, urgence et action. Nous devons prendre conscience de nos pouvoirs et de nos responsabilités à titre de parlementaires afin de régler ces problèmes.
Ensemble, nous devons prendre conscience de l’urgence des problèmes auxquels sont confrontés les enfants et les jeunes du Canada. Plus important encore, nous devons tous ensemble passer à l’action.
Aujourd’hui, au Canada, nous avons l’occasion de faire en sorte que tous les enfants — tous les enfants du Canada — aient toutes les chances de s’épanouir dans ce pays.
Alors que nous avancerons dans l’étude du projet de loi, chers collègues, j’ai hâte d’en discuter, d’entendre vos commentaires et d’apporter des améliorations à la mesure législative. Je vous encourage à voter en faveur de ce projet de loi et à soutenir son adoption.
Donnons aux enfants et aux jeunes la voix qu’ils méritent et dont ils ont besoin. Montrons aux communautés que nous nous soucions suffisamment d’elles pour leur donner les ressources qu’elles demandent. Montrons aux Canadiens autochtones que nous les respectons en tant que nations et que nous sommes déterminés à réparer le désespoir et les torts causés par le colonialisme.
Montrons au monde que nous prenons au sérieux les obligations qui nous incombent en matière de droits de la personne. Montrons aux Canadiens que, dans une véritable démocratie, nous n’avons pas peur de rendre des comptes, que nous acceptons de faire l’objet d’un honnête examen. Montrons aux enfants et aux jeunes qu’à Ottawa, il y a des gens altruistes, qui écoutent et qui sont prêts à accomplir ce que nous savons depuis longtemps être la bonne chose à faire. Le coût de l’échec est trop élevé. Ne laissons pas l’inaction précipiter notre défaite.
Dans cette Chambre, nous devons reconnaître que le Canada n’est pas rendu où il devrait être. Notre pays offre énormément de possibilités, mais la pandémie a brisé ce qui était déjà fragile.
Allons-nous réparer les pots cassés et construire une société meilleure et plus inclusive pour nos enfants? C’est la question que je vous pose aujourd’hui, honorables collègues. Je vous remercie. Je serai ravie de répondre à des questions.
L’honorable Dennis Glen Patterson
Sénatrice Moodie, je ne doute pas un seul instant que les enfants méritent d’avoir davantage voix au chapitre. Je sais que vous avez travaillé fort dans ce dossier. Il me semble que la création d’une commission et la dotation des postes que vous avez décrits nécessiteront des dépenses. Puisque le Sénat n’a apparemment pas les pouvoirs nécessaires à cette fin, je me demande si vous avez songé à ce problème et si vous en avez fait part au gouvernement fédéral pour savoir s’il serait prêt à parrainer le projet de loi, ce qui réglerait le problème sans qu’on ait besoin d’une recommandation royale.
La sénatrice Moodie
Je vous remercie de la question, sénateur Patterson. Il est vrai que nous avons travaillé fort pour discuter avec un certain nombre de personnes à la Chambre des communes, notamment avec les ministres. Nous avons une bonne discussion.
L’approche que nous avons choisie consiste à utiliser une disposition d’entrée en vigueur pour que l’on puisse adopter le projet de loi dans les deux Chambres sans avoir besoin d’une recommandation royale au départ. Cependant, nous sommes conscients que l’inclusion du contenu de notre projet de loi dans un autre projet de loi qui s’accompagnerait d’un financement serait une solution viable, et nous cherchons aussi d’autres façons d’amener des personnes à parrainer notre projet de loi à la Chambre des communes.