Débat - Projet de loi C-35 (Loi relative à l’apprentissage et à la garde des jeunes enfants au Canada)
Honorables sénateurs, c’est vraiment un honneur de prendre la parole au Sénat à titre de marraine du projet de loi C-35, Loi relative à l’apprentissage et à la garde des jeunes enfants au Canada.
Le projet de loi a été déposé à la Chambre par l’honorable Karina Gould, alors qu’elle était ministre de la Famille, des Enfants et du Développement social. Il a été adopté à l’unanimité à l’autre endroit avant de nous être renvoyé et il s’agit d’un élément important des efforts du gouvernement pour mettre en place un système d’apprentissage et de garde des jeunes enfants de qualité, accessible, abordable et inclusif pour tous les Canadiens.
Le projet de loi est le point culminant de décennies de militantisme par des spécialistes de la garde d’enfants, des défenseurs des enfants, des femmes et des économismes. Son adoption inscrirait dans la loi l’engagement du fédéral à collaborer avec les provinces, les territoires et les peuples autochtones afin d’établir et de maintenir un service pour des générations de familles et qui servira l’intérêt des collectivités et du pays tout entier.
D’entrée de jeu, je tiens à dire avec enthousiasme, personne n’en sera surpris, que je suis en faveur de ce projet de loi. Prendre soin des enfants, s’occuper de leur santé physique et de leur développement cognitif dès leurs premiers jours, comprendre le lien entre le développement et l’apprentissage et les résultats est l’œuvre de ma vie et ma passion. J’ai été un témoin privilégié de tous les bienfaits qui découlent d’une éducation de qualité dès la petite enfance. Je connais les effets positifs que cela peut avoir sur la vie d’un enfant. Au cours de ce débat, je vais vous faire part de mon point de vue sur le contexte actuel des services de garde et sur la place qu’y occupe le projet de loi. Je suis heureuse d’entendre, chers collègues, que vous appuyez en grand nombre ce projet de loi. J’ai hâte d’entendre vos commentaires au cours de ce débat.
L’histoire des services de garde au Canada explique là où nous en sommes aujourd’hui. Elle nous a menés aux défis que nous devons relever aujourd’hui et aux choix qui s’offrent à nous. C’est là que je vais commencer.
Honorables collègues, qu’en est-il de l’histoire du système de garderies au Canada? J’aimerais nous ramener dans les années 1960 et 1970, car c’est à cette époque qu’on a commencé à concevoir et à faire fonctionner le système de garderies que nous connaissons aujourd’hui. Plus précisément, trois événements importants ont eu lieu. Tout d’abord, il y a eu la création, en 1966, du Régime d’assistance publique du Canada. Ce programme était fondé sur un accord de partage des coûts destinés aux programmes d’aide sociale, tels que les services de garderie pour les familles démunies. À ma connaissance, il s’agit de la première initiative du gouvernement fédéral dans le domaine de la garde d’enfants.
Deuxièmement, il y a eu la participation accrue des femmes au marché du travail. Sous l’impulsion des mouvements féministes et de l’évolution de l’économie, la participation des femmes à la population active s’est considérablement accrue, celles-ci cherchant à contribuer à la prospérité de leur famille, et à mettre leurs talents à profit sur le marché du travail. En 1960, 30 % des femmes en âge de travailler étaient actives sur le marché du travail. Ce chiffre est passé à 42 % en 1970, puis à 60 % en 1980.
En raison de la participation des femmes au marché du travail, et grâce à un financement public accru, la garde d’enfants à l’extérieur du foyer est devenue une pratique de plus en plus courante. En 1973, 5 % des enfants étaient régulièrement confiés à une garderie, un chiffre qui a doublé en 1981, et triplé en 2004.
Le troisième événement s’est déroulé dans les années 1960 et 1970 et a façonné notre conception des services de garde aujourd’hui. La Commission royale d’enquête sur la situation de la femme au Canada a été mise en place en 1967 par le très honorable Lester B. Pearson, à la demande de l’honorable Judy LaMarsh et de Laura Sabia. La commission a rassemblé des figures marquantes comme Florence Bird, Elsie MacGill et la jeune Monique Bégin. Elle avait pour mandat de faire rapport sur la situation de la femme au Canada et de formuler des recommandations sur la voie à suivre. Le rapport final, publié en décembre 1970, proposait 167 recommandations reposant sur le principe fondamental suivant : l’égalité entre les hommes et les femmes est non seulement possible, elle est aussi souhaitable et essentielle sur le plan éthique.
Une importante question étudiée par ce groupe était les services de garde. S’appuyant sur sa compréhension de l’évolution de l’économie et reconnaissant le droit des femmes d’être tout aussi actives sur le marché du travail que les hommes, la commission, dans son rapport, expose sa vision de l’apprentissage et de la garde des jeunes enfants au Canada : un réseau de garderies abordables et de grande qualité pour tous, géré à même les fonds publics. Pour la commission, il s’agissait d’un pas important vers l’égalité entre les sexes au Canada, et elle demandait au gouvernement du Canada d’intervenir et de tracer la voie d’un programme national fort.
La recommandation no 118 du rapport se lit comme suit :
La Commission recommande que le gouvernement fédéral prenne des mesures immédiates en liaison avec les provinces en vue de l’adoption d’une loi sur les garderies et les crèches, en vertu de laquelle on accorderait aux provinces une aide financière basée sur le partage des frais, pour la construction et le fonctionnement de garderies et crèches qui respectent les normes minimums prescrites [...]
Ce fut le début d’une longue et importante discussion sur le fonctionnement des garderies au Canada. Le Canada devrait-il participer à la création d’un ambitieux programme de garderies de grande qualité, abordables et accessibles, et si oui, comment?
Cette discussion se poursuit encore aujourd’hui.
Les services de garde sont restés un sujet brûlant pendant les années 1960 et 1970. Divers gouvernements fédéraux ont promis de créer un programme national de garderies, mais ce n’est qu’en 2005 que Ken Dryden a accepté des ententes bilatérales à la veille d’élections fédérales. Des progrès significatifs semblaient alors possibles.
En 2006, la victoire des conservateurs de Harper a réduit à néant les ententes sur les garderies au profit de la Prestation universelle pour la garde d’enfants. Il y a aussi eu la Prestation fiscale canadienne pour enfants et la Prestation nationale pour enfants. La Prestation universelle pour la garde d’enfants était une prestation imposable de 100 $ par enfant de moins de 6 ans.
Une décennie plus tard, les libéraux de Trudeau ont formé le gouvernement et converti la Prestation universelle pour la garde d’enfants et la Prestation fiscale canadienne pour enfants en ce qui est connu aujourd’hui sous le nom d’Allocation canadienne pour enfants, une prestation non imposable à laquelle peut s’ajouter au besoin la Prestation pour enfants handicapés. Les familles peuvent recevoir jusqu’à 619 $ par mois pour chaque enfant âgé de moins de six mois et jusqu’à 522 $ par mois pour chaque enfant âgé de 6 à 17 ans.
Quel a été l’effet de cette mesure? Pour la plupart des familles de la classe moyenne, cela s’est traduit par un soutien de centaines de dollars chaque mois, ce qui, on en conviendra, est un pas dans la bonne direction.
En outre, le gouvernement a conclu en 2017 un accord sur le Cadre multilatéral d’apprentissage et de garde des jeunes enfants avec les gouvernements provinciaux et territoriaux, qui prévoit l’injection de 7,5 milliards de dollars sur 11 ans. L’objectif consiste à « accroître la qualité, l’accessibilité, la flexibilité, et l’inclusion » des services d’apprentissage et de garde des jeunes enfants, tout en tenant compte de ceux qui en ont davantage besoin.
Au milieu des années 2010, les services de garde ont vraiment été moins présents dans les discussions gouvernementales. Or, pendant cette période, nous avons vu l’utilisation des services de garde et le coût de ces services augmenter considérablement, alors que moins de gens avaient accès à des services de garde abordables pour leur famille. Avant 2011, la majorité des parents, soit 86 %, avaient recours à un réseau de services de garde composé de diverses garderies administrées par des municipalités ou par des organismes sans but lucratif. Certains fournisseurs, agréés ou non, offraient des services à domicile ou en centre privé. Les divers pouvoirs publics imposaient différentes exigences en ce qui concerne la qualité des services et les compétences des travailleurs, et bien des familles avaient de plus en plus de difficulté à trouver une place en garderie pour leur enfant.
Le coût des services de garde variait énormément d’une région à l’autre du pays. En 2020, le coût mensuel par enfant pouvait aller de 450 $ à Winnipeg à 1 600 $ à Toronto. Faute d’une aide fédérale considérable comme celle recommandée par la commission royale, ce service essentiel est devenu difficilement accessible et abordable, un résultat qui, bien honnêtement, aurait pu être évité.
Tournons-nous vers le Québec, qui a un réseau de garderies publiques depuis la fin des années 1990. On dit souvent que le Québec est un bon exemple de l’évolution que les services de garde auraient pu suivre. Même si son réseau n’est pas parfait, il importe de souligner le choix que le gouvernement du Québec a fait à la fin des années 1990. Son approche incluait également la bonification d’un régime de congés parentaux et des sommes substantielles pour les familles afin de faciliter l’épanouissement des enfants dans un réseau de garderies publiques de grande qualité, ainsi qu’un crédit d’impôt qui allait devenir une prestation mensuelle pour ceux qui n’avaient pas accès aux places publiques à faible coût.
Le Québec a investi massivement dans les politiques qu’il jugeait nécessaires pour le bien des enfants, des femmes et l’économie, qui ont tous profité de l’orientation prise par la province.
Certes, chers collègues, le Québec a rencontré quelques obstacles. Comme la demande pour les services de garde a explosé, la province n’a pas été en mesure de créer des places subventionnées assez rapidement pour y répondre, ce qui se traduit à l’heure actuelle par la difficulté d’obtenir des services de garde abordables et de grande qualité pour les familles à faible revenu qui en ont le plus besoin. Malgré cela, les familles au Québec, et la société dans son ensemble, sont mieux loties grâce à ce programme qu’elles ne le seraient sans lui, puisqu’elles ont accès à plus de 220 000 places en garderies subventionnées, dont près de la moitié se trouvent dans des centres gérés par l’État.
La voie empruntée par le Québec le propulse vers un avenir très prometteur. Son expérience prouve que tous les Canadiens peuvent avoir accès à des services de garde de grande qualité et à tous les avantages qui en découlent.
Ensuite, il y a eu la pandémie. La pandémie de COVID-19 a ouvert les yeux à bon nombre d’entre nous. Malgré les nombreux aspects positifs de la vie au Canada, il y avait encore beaucoup de problèmes sous-jacents importants que la pandémie a mis au jour.
La pandémie a nui de façon disproportionnée à la participation des femmes à l’économie. Selon un rapport de la RBC, elle a effectivement forcé les femmes à se retirer de la population active, effaçant du coup trois décennies de progrès. La « récession au féminin », comme l’a nommée l’économiste Armine Yalnizyan, a révélé qu’un accès limité à des services de garde d’enfants est un frein majeur au retour des femmes sur le marché du travail. À l’automne 2020, 85 % des emplois qui n’avaient toujours pas été rétablis étaient des emplois occupés par des femmes.
La pandémie a eu des effets négatifs pour les enfants. Parmi les nombreux spécialistes qui sont parvenus à des conclusions comparables, les chercheurs de l’Observatoire pour l’éducation et la santé des enfants ont conclu que la pandémie a entraîné un retard dans l’éducation des enfants et a eu des effets négatifs sur leur santé mentale.
La pandémie a donné lieu à une nouvelle vague de militantisme de la part des parents, des familles, des spécialistes des services de garde, des syndicats, des universitaires et des économistes, tous réclamant des services de garde de qualité, abordables, accessibles et inclusifs, soutenant qu’ils sont essentiels pour annuler les effets néfastes de la pandémie et bâtir une société pour tous.
Le gouvernement du Canada s’est montré ouvert à créer un plan d’apprentissage et de garde des jeunes enfants pancanadien. Dans le discours du Trône de la deuxième session de la 43e législature, en réponse aux réalités et aux conséquences de la pandémie, le gouvernement a annoncé :
Conscient de l’urgence de cet enjeu, le gouvernement réalisera un investissement important, soutenu et à long terme dans la mise en place d’un système d’apprentissage et de garde des jeunes enfants à l’échelle du Canada.
Dans le budget de 2021, le gouvernement s’est engagé à consacrer 30 milliards de dollars sur cinq ans et 8,3 milliards de dollars par la suite à la création et à la mise en œuvre d’un régime national de services de garde. À court terme, le gouvernement voulait réduire de 50 % le coût moyen de ces services d’ici 2022 et atteindre un coût moyen de 10 $ par jour d’ici 2026. Il devait s’agir d’un projet transformateur de la même envergure que les systèmes publics d’éducation et de santé que les dernières générations ont établis. Il s’agit d’un investissement pour les enfants d’aujourd’hui, qui en profiteront eux-mêmes et qui pourront aussi en faire profiter leurs propres enfants.
Oui, honorables sénateurs, nous sommes tous d’accord pour dire qu’il en a fallu du temps avant que le gouvernement s’engage dans cette voie et que le parcours a été semé d’embûches. Aujourd’hui, nous assistons à la naissance d’un système qui sera très avantageux pour la société canadienne.
Voici en quoi l’éducation préscolaire et les services de garde seront bénéfiques.
Parlons d’abord des effets de ces services sur les jeunes Canadiens. Dans l’ensemble, lorsqu’ils sont de bonne qualité, ces services favorisent le développement cognitif, affectif et social des enfants et leur permettent de développer leurs aptitudes et leur confiance en soi. Ils favorisent aussi leur réussite à l’école et dans la vie. L’éducation préscolaire et les services de garde ont donc des effets positifs et durables qui se manifesteront tout au long de la vie des enfants.
Selon une étude du National Institute of Child Health and Human Development aux États-Unis, des services de garde d’enfants de grande qualité peuvent avoir une incidence positive sur le développement cognitif des jeunes enfants. Selon une étude de cohorte de la Sorbonne, soit l’étude de cohorte mère-enfant EDEN, par rapport aux enfants envoyés dans des services de garde non agréés, les enfants qui fréquentent des services de garde officiels sont :
[...] moins susceptibles d’avoir des symptômes émotionnels intenses, des problèmes de relations avec leurs pairs et des comportements peu prosociaux [...] La fréquentation d’une garderie en établissement pendant plus d’un an protège particulièrement contre les fortes difficultés émotionnelles associées aux pairs et les comportements peu prosociaux.
En 2021, Craig Alexander, qui était à l’époque conseiller de direction chez Deloitte, a témoigné devant le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie au sujet du projet de loi C-30. Il a passé plusieurs décennies à étudier les avantages économiques des services de garde d’enfants et nous a dit que les enfants issus de milieux défavorisés et de ménages à faible revenu sont ceux qui bénéficient le plus de l’éducation préscolaire et des services de garde, car ils réduisent l’écart souvent important qui existe entre leurs compétences lorsqu’ils entrent à l’école et les attentes du système scolaire. À l’étranger, une étude menée au Royaume-Uni a montré que la fréquentation de services de garde éducatifs réduisait de 40 % la probabilité qu’un enfant ait des besoins éducatifs spéciaux, ce qui représente des millions de dollars d’économies pour les systèmes d’éducation.
Au Canada, Morna Ballantyne, directrice générale de l’organisme Un Enfant Une Place, a déclaré au comité, à l’époque, que l’éducation préscolaire et les services de garde offrent aux enfants un avantage dans leurs études tout au long de leur vie, qui se traduit par le succès et un salaire plus élevé dans leur carrière.
Parlons maintenant de l’incidence de l’éducation préscolaire et des services de garde sur les femmes canadiennes et du rôle de ces dernières dans l’économie.
L’accès à des services de garde de qualité, abordables, flexibles et inclusifs ne vise pas seulement à donner à chaque enfant canadien le meilleur départ possible dans la vie; il s’agit aussi de donner aux parents, en particulier aux mères, la possibilité d’entrer ou de retourner sur le marché du travail, de poursuivre leurs études ou de démarrer leur entreprise.
Les données du Québec sont claires : le taux de participation des femmes au marché du travail a commencé à augmenter peu après la mise en place d’un système subventionné, ce qui a permis à des dizaines de milliers de femmes d’entrer sur le marché du travail. Il existe également des données qui indiquent que ce sera le cas dans d’autres provinces. Dans son rapport récent intitulé L’espace entre nous : la disponibilité des services de garde d’enfants définira le marché du travail canadien, l’économiste en chef de la Banque TD a révélé que l’amélioration de l’accès aux garderies dans les provinces a entraîné une augmentation de la participation au marché du travail des femmes ayant des enfants de moins de six ans. Le taux d’activité de ces femmes est monté en flèche depuis la pandémie. Il a augmenté de quatre points de pourcentage depuis 2020, ce qui équivaut à environ 111 000 femmes actives supplémentaires — une forte hausse par rapport à l’augmentation de 1,7 point de pourcentage affichée au cours des trois années précédentes.
Honorables collègues, il y a un consensus clair sur le fait que l’accès à des services de garde est un obstacle majeur à la prospérité économique et à l’égalité des sexes pour les femmes. Et quelle en est l’incidence sur l’économie en général?
Pendant la pandémie, on a constaté que les leaders du secteur privé étaient fortement en faveur d’un système pancanadien d’éducation préscolaire et de garde d’enfants, car ils considèrent qu’il est essentiel à notre infrastructure économique et au rétablissement de l’économie. L’accès à des services de garde abordables joue un rôle important dans le recrutement et le maintien en poste des personnes les plus talentueuses qui soient.
Le gouvernement fédéral abonde dans le même sens. En élargissant l’accès à des services de garde abordables, inclusifs et de grande qualité, le Canada offre aux familles du pays la possibilité de faire preuve d’ambition et d’audace, de travailler fort afin de s’assurer un avenir prospère tout en sachant que leurs enfants sont en santé et en sécurité et qu’ils s’épanouissent. En outre, des études montrent que pour chaque dollar investi dans l’éducation préscolaire, l’économie en général reçoit entre 1,50 et 2,80 $ en retour. Selon les estimations du gouvernement fédéral, un système pancanadien pourrait accroître le PIB réel de 1,2 % au cours des deux prochaines décennies.
Susan Prentice et Molly McCracken, de la Coalition des services de garde à l’enfance du Manitoba, ont constaté que les enfants bénéficieraient de retombées régionales importantes. Ces spécialistes de la question ont établi que pour chaque dollar investi dans le système de garde d’enfants de Winnipeg, la région en retirerait 1,38 $. Un meilleur accès aux garderies pourrait aider et soutenir près de 13 000 ménages, ce qui augmenterait le revenu de l’ensemble de ces familles de plus de 700 millions de dollars par an.
Bref, un meilleur accès aux garderies débouchera sur de meilleurs résultats pour les enfants, les femmes, les familles et l’économie dans son ensemble. Voilà pourquoi il faut un programme national de garderies. Voilà pourquoi ce projet de loi est important.
Honorables sénateurs, les dernières années ont été passionnantes, car le gouvernement a considérablement accru sa participation à la prestation de services d’apprentissage et de garde des jeunes enfants, et ce, en empruntant trois voies principales : en signant des accords bilatéraux avec les provinces et les territoires, en investissant dans l’infrastructure et en présentant le projet de loi C-35.
Parlons de la première et de la plus importante voie : la conclusion d’accords bilatéraux avec les provinces. Peu après l’adoption du budget de 2021, la Colombie-Britannique a été la première province à conclure un accord en juillet 2021.
En mars 2022, toutes les provinces et tous les territoires avaient signé un accord, l’Ontario étant le dernier signataire.
À l’heure actuelle, soit trois ans avant l’objectif national, le Manitoba, la Saskatchewan, Terre-Neuve-et-Labrador et le Nunavut ont tous mis en place des services de garde accrédités à 10 $ par jour.
Le Québec et le Yukon offrent déjà des services réglementés à 10 $ par jour ou moins. En Alberta, en Colombie-Britannique, au Nouveau-Brunswick, dans les Territoires du Nord-Ouest, en Nouvelle-Écosse, en Ontario et à l’Île-du-Prince-Édouard, le coût des services de garde accrédités a diminué de 50 à 60 %. Ces provinces sont en bonne voie d’offrir des services à 10 $ par jour d’ici mars 2026.
Quels sont les effets de ces mesures sur les familles? Celles-ci économisent annuellement de 3 900 $ à 6 600 $ par enfant. Comme on l’a déjà dit, les accords bilatéraux sont tous différents, parce qu’ils sont adaptés à chacune des provinces, mais leurs grandes lignes et leurs thèmes sont semblables. Les voici :
D’abord, les services de garde définis par les accords multilatéraux sont tous semblables : il s’agit de services abordables, accessibles, inclusifs et de grande qualité.
Tous les accords dressent une série d’objectifs, dont la réduction des coûts, la création de places et le perfectionnement de la main‑d’œuvre.
Tous les accords prévoient que les investissements doivent être faits en priorité dans les services publics et à but non lucratif plutôt que dans le secteur privé et les services non accrédités.
Enfin, à chaque accord se greffe un plan d’action qui établit comment la province compte respecter ses engagements.
Permettez-moi de vous donner un exemple. Le Nouveau-Brunswick s’est engagé à créer 34 000 nouvelles places. Son accord avec le Canada précise que les communautés de langue officielle en situation minoritaire auront un nombre de places égal ou supérieur à leur part de la population dans la province, protégeant ainsi l’accès pour chaque famille à des services dans la langue de son choix à l’échelle de la province. Cette décision respecte le statut constitutionnel du Nouveau-Brunswick à titre de province bilingue. Par ailleurs, la province s’est engagée à faire le suivi non seulement du nombre de places inclusives, en créant ou modifiant des programmes inclusifs, mais aussi des dépenses publiques annuelles dans les programmes de garde consacrés aux enfants issus de familles marginalisées ou vulnérables — ce qui améliorera la reddition de comptes à l’égard de ces communautés.
Je tiens à préciser qu’une importance similaire a été consentie aux communautés de langue officielle en situation minoritaire dans tous les accords.
L’accord actuel signé par les provinces demeure en vigueur jusqu’en 2026. Les négociations pour les années suivantes sont déjà amorcées ou elles le seront sous peu. Les gouvernements de partout au pays méritent des félicitations pour leur collaboration au nom des enfants et des familles. Les sénateurs devraient examiner les ententes conclues avec leur province pour constater les résultats positifs de la collaboration fédérale-provinciale sur laquelle repose ce programme.
Le Canada a également développé un système d’éducation préscolaire et de garde d’enfants autochtones en collaboration avec les communautés et les gouvernements autochtones. Certaines personnes présentes dans cette salle ont d’ailleurs travaillé à ce projet. Ce programme est conforme à la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones et aux appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation.
Il vise à habiliter les enfants inuits, métis et des Premières Nations en intégrant leur identité, leur langue et leur culture. Les programmes doivent être culturellement adaptés, distincts et fondés sur le droit à l’autodétermination de chaque communauté.
Le système d’éducation préscolaire et de garde d’enfants autochtones prévoit également la création de places et le développement de la main-d’œuvre. De surcroît, les communautés autochtones ont une influence directe sur la mise en œuvre du programme grâce à des investissements dans la gouvernance et l’établissement de partenariats.
La deuxième voie empruntée par le gouvernement, outre les accords, concerne les infrastructures. Le système d’éducation préscolaire et de garde d’enfants se construit avec une attention particulière pour l’amélioration des infrastructures. Le gouvernement a récemment annoncé le lancement des négociations avec les provinces sur le Fonds d’infrastructure pour l’apprentissage et la garde des jeunes enfants. Ce fonds, doté de 625 millions de dollars, devrait être disponible pendant quatre ans à compter du présent exercice et il servira à créer des places dans les communautés mal desservies.
Le troisième élément, outre les accords et les infrastructures, est une mesure législative. Elle consacrera l’engagement du gouvernement fédéral à collaborer avec les provinces, les territoires et les peuples autochtones pour mettre en place et maintenir des services pour les générations à venir, dans l’intérêt des communautés et du pays tout entier.
Le projet de loi C-35 a été élaboré à partir de ces partenariats constructifs. Il ne s’agit pas d’une mesure imposée d’en haut : elle a été établie à partir du travail collaboratif fait à ce jour. Le projet de loi n’impose ni conditions ni exigences aux partenaires provinciaux, territoriaux et autochtones. Il respecte les champs de compétence des provinces et territoires, ainsi que la vision et les principes du Cadre d’apprentissage et de garde des jeunes enfants autochtones.
L’Assemblée des Premières Nations, l’Inuit Tapiriit Kanatami et le Ralliement national des Métis ont participé au processus d’élaboration conjointe et accordent leur appui à cette initiative.
C’est le troisième élément — la mesure législative, le projet de loi C-35 — qui retient notre attention aujourd’hui. Le gouvernement du Canada a pour objectif à long terme d’établir un système d’éducation préscolaire et de garde d’enfants de grande qualité et financé par les fonds publics à l’intention de toutes les familles qui choisissent de l’utiliser.
Le projet de loi C-35 ne remplace pas et ne supplante pas les accords bilatéraux conclus à la grandeur du pays. Il procurera plutôt aux partenaires provinciaux, territoriaux et autochtones une meilleure prévisibilité et l’assurance que le gouvernement fédéral s’engage à financer à long terme l’éducation préscolaire et les services de garde d’enfants.
Quoi qu’il en soit, vous remarquerez que le projet de loi concorde avec une bonne partie du contenu des accords, puisqu’il vise à fournir une structure durable et habilitante pour ces accords.
Regardons maintenant le projet de loi de plus près.
Premièrement, l’article 6 du projet de loi énonce la vision du gouvernement pour un système d’éducation préscolaire et de garde d’enfants. Cette vision reconnaît le rôle du gouvernement dans la collaboration avec les provinces et les peuples autochtones pour mettre en place des programmes adaptables d’éducation préscolaire et de garde d’enfants qui répondent aux besoins des familles. La nécessité d’offrir des services adaptés à la culture et dirigés par les peuples autochtones est spécifiquement reconnue.
À la suite d’un amendement proposé par le Comité permanent des ressources humaines, du développement des compétences, du développement social et de la condition des personnes handicapées de l’autre endroit, on a ajouté ce qui suit à l’article 6 : « [...] le droit [des peuples autochtones d’] accorder leur consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause, relativement aux questions touchant les enfants. »
Deuxièmement, l’article 7 énonce les principes directeurs concernant les investissements fédéraux.
Les investissements fédéraux concernant l’établissement et le maintien d’un système d’apprentissage et de garde des jeunes enfants à l’échelle du Canada, ainsi que les efforts visant la conclusion avec les provinces et les peuples autochtones de tout accord connexe, sont guidés par les principes selon lesquels les programmes et services d’apprentissage et de garde des jeunes enfants devraient être accessibles, abordables, inclusifs et de haute qualité [...]
Bon nombre des termes employés jusqu’à présent peuvent être définis de différentes façons, mais l’article 7 nous fournit également des définitions. L’alinéa 7(1)a) définit les services de haute qualité comme étant des services qui tiennent compte des données probantes, qui répondent aux besoins des familles et qui respectent les normes des gouvernements autochtones et provinciaux. Il accorde aussi la priorité aux services « offerts par des fournisseurs de services de garde d’enfants publics et à but non lucratif ».
L’alinéa 7(1)b) établit l’abordabilité comme un principe fondamental afin que tous les Canadiens, quel que soit leur niveau de revenu, aient accès à des services de garde de haute qualité. L’alinéa 7(1)c) porte sur l’accessibilité et oblige le gouvernement à appuyer la prestation de services dans les collectivités rurales et éloignées et la prestation de services aux enfants handicapés et aux enfants issus des minorités linguistiques. Selon cet alinéa, l’accessibilité consiste aussi à répondre aux divers besoins des familles.
L’alinéa 7(1)d) oblige le gouvernement à promouvoir le développement de la main-d’œuvre par le recrutement et le maintien en poste d’éducateurs de la petite enfance qualifiés, un élément essentiel à la mise en œuvre d’un système de services de garde de haute qualité.
Le paragraphe 7(2) oblige le gouvernement à faire des investissements guidés à la fois par les principes établis au paragraphe 7(1) et par les principes énoncés dans le Cadre d’apprentissage et de garde des jeunes enfants autochtones.
Enfin, le Comité permanent des ressources humaines, du développement des compétences, du développement social et de la condition des personnes handicapées de l’autre endroit a apporté un autre amendement important à l’article 7 afin que les investissements soient aussi guidés par la Loi sur les langues officielles.
Troisièmement, l’article 8 du projet de loi engage le Canada à maintenir un financement à long terme, principalement par la voie d’accords avec les provinces, les gouvernements autochtones et les organismes autochtones.
Les articles 9 à 15 comprennent des dispositions relatives au Conseil consultatif national sur l’apprentissage et la garde des jeunes enfants. Ce conseil réunira un groupe engagé et diversifié d’universitaires, de militants, de praticiens et de prestataires de soins afin de fournir des conseils d’experts au ministre des Familles, des Enfants et du Développement social. Il servira de forum de consultation sur les questions et les défis auxquels est confronté le secteur de l’apprentissage et de la garde des jeunes enfants.
Là encore, un amendement du Comité permanent des ressources humaines, du développement des compétences, du développement social et de la condition des personnes handicapées de la Chambre des communes a ajouté la possibilité de mener de vastes consultations auprès des organismes qui s’intéressent à la garde des jeunes enfants.
Le projet de loi C-35 confère au comité une autorité statutaire. Les articles 9 à 15 définissent le processus de nomination, les critères d’adhésion et les fonctions du comité, en plus de prescrire le nombre minimum de réunions, entre autres.
Le Comité permanent des ressources humaines, du développement des compétences, du développement social et de la condition des personnes handicapées de la Chambre des communes a amendé cette partie du projet de loi au paragraphe 11(1) pour s’assurer que les peuples autochtones et les communautés de langue officielle en situation minoritaire sont représentés au sein du comité. Il a également amendé l’article 14 pour permettre au comité de recevoir du ministre des renseignements sur le système d’apprentissage et de garde des jeunes enfants afin qu’il puisse jouer son rôle.
Enfin, le Comité permanent des ressources humaines, du développement des compétences, du développement social et de la condition des personnes handicapées de la Chambre des communes a apporté d’importants amendements à l’article 16, qui définit les détails des rapports annuels sur les performances et les progrès du système pancanadien d’apprentissage et de garde des jeunes enfants.
Avant de conclure ma présentation de ce projet de loi, je me dois de féliciter nos collègues de l’autre endroit de leur travail à son égard. J’estime que le projet de loi C-35 est solide. Il n’est pas étonnant que l’autre endroit l’ait adopté à l’unanimité. Quoi qu’il en soit, je suis impatiente que le Sénat et le Comité des affaires sociales l’étudient, conformément à notre rôle de partenaire complémentaire à la Chambre des communes dans le processus législatif.
J’ai quelques dernières observations. Ce que vous avez entendu de ma part dans ce discours, c’est qu’un travail énorme a été effectué et se poursuit en vue d’établir un système national de services de garde d’enfants. Le projet de loi C-35 fournit un cadre pour les accords en vigueur, mais nous savons que, à mesure que des progrès s’effectueront pour créer un système national de services de garde d’enfants, des problèmes surviendront. Je suis d’avis que le projet de loi laisse suffisamment de souplesse pour permettre au gouvernement fédéral et à ses partenaires de remédier aux problèmes actuels et futurs dans un cadre qui priorise la prestation publique et sans but lucratif des services de garde d’enfants.
En terminant, j’aimerais discuter de certains des problèmes que connaît notre système actuel.
D’abord, nous n’avons pas les données nécessaires pour étudier en profondeur et évaluer l’état des services de garde. C’est un aspect ciblé par les accords. Alors que nous faisons fond sur ce régime, nous devons avoir un meilleur portrait des besoins. De combien de places avons-nous besoin? Où doivent-elles se trouver? De combien de travailleurs manque-t-il? Cette information n’est pas facilement accessible, et il faut corriger cette situation, chers collègues.
Le deuxième défi est de bâtir une main-d’œuvre durable. C’est crucial non seulement pour établir de nouvelles places, mais également pour utiliser celles qui existent déjà. Un bassin d’éducateurs de la petite enfance de grande qualité est essentiel pour faciliter le développement social, affectif, physique et cognitif des jeunes enfants. Investir dans un tel bassin de travailleurs revient à investir dans la santé, le bien-être et la réussite des futures générations au Canada.
Malheureusement, le secteur des services de garde a énormément de difficultés à recruter et à maintenir en poste des travailleurs qualifiés. Selon le Childcare Resource and Research Unit, 50 % des travailleurs quittent l’industrie dans les cinq premières années. Ils se tournent plutôt vers les commissions scolaires ou le secteur privé parce qu’ils y trouvent des salaires et des avantages sociaux plus concurrentiels, ce qui nuit directement à l’offre.
Le YMCA de l’Ontario nous a dit que, sur ses 1 250 centres, aucun ne fonctionne au maximum de sa capacité à cause des pénuries de main-d’œuvre. Cette situation entraîne de longues listes d’attente et l’épuisement du personnel.
La rémunération, les avantages sociaux et un plan de carrière clair sont essentiels au développement à long terme de la population active. Nous pouvons y arriver en intégrant les centres de services de garde dans les grands réseaux de services sociaux qui ont les ressources nécessaires pour offrir des salaires et des avantages sociaux concurrentiels, de même que la taille nécessaire pour offrir de la mobilité et de nouvelles possibilités pour les travailleurs.
Cela m’amène à mon dernier point : le choix entre les services de garde publics et sans but lucratif ou ceux du secteur privé. Je crois que ce choix est judicieux et qu’il doit être un élément essentiel de tout programme national de garderies. Il est important de reconnaître que des exploitants du secteur privé fournissent d’excellents soins de garde partout au pays et que, au final, les services de garde sont un bien public. Les particuliers et les entreprises qui cherchent d’abord à être rentables ne seront jamais tentés de mettre sur pied le système dont nous avons besoin, c’est‑à‑dire qui est axé sur le caractère abordable, accessible et inclusif des services offerts plutôt que sur les profits réalisés. C’est la raison pour laquelle il faut un système public à but non lucratif.
Dans le cadre de l’étude du Comité des affaires sociales sur le budget de 2021, la directrice générale de Child Care Now, Morna Ballantyne, a déclaré que, pour que les services soient équitables et de qualité, il fallait un service public. Elle a aussi dit que le gouvernement devrait avoir la responsabilité d’élargir l’offre de services. Ce n’est toutefois pas la fin des services privés. Les ententes accordent certains fonds aux fournisseurs de services privés. En effet, pour que les parents puissent avoir toujours accès aux services, tous les fournisseurs de services privés ont été inclus dès le départ dans le système national.
Dorénavant, le gouvernement veut que les fonds publics servent à des biens publics. Il s’agit d’un choix politique, honorables sénateurs. Ce ne sont pas la rentabilité des services offerts ou la capacité de payer des parents qui devraient conditionner l’accès à des services essentiels que nous considérons comme un bien public.
Tout comme d’autres secteurs de notre système d’éducation, les services de garde sont essentiels pour l’avenir et le développement des enfants. Cette politique n’a pas l’appui de tous, mais elle s’appuie sur des données probantes provenant d’ici et d’ailleurs. C’est la meilleure solution pour les tout-petits et pour la prospérité du Canada.
Nous sommes en pleine transition; la diminution du coût des services ne va pas nécessairement de pair avec l’augmentation du nombre de places. Bien des gens pourraient trouver que les changements ne vont pas assez vite ou que le plan ne fonctionne pas assez bien. Moi, je dirais qu’il ne faut pas reculer, mais persister, parce que c’est le résultat final qui compte, et les enfants canadiens devraient y avoir droit.
Je vous remercie, chers collègues, de votre attention. Je vous exhorte à étudier le projet de loi avec rigueur et à l’adopter rapidement afin que les provinces, les communautés autochtones, les parents et les enfants puissent avoir la certitude que le programme d’éducation préscolaire et de garde des jeunes enfants est là pour de bon à l’échelle du Canada.
Meegwetch, merci.