Débat - Projet de loi S-251 (Interdire le punissement corporel des enfants au Canada)
Honorables sénateurs, l’un des rôles centraux du Sénat consiste à être la voix des sans-voix et à représenter les groupes qui n’ont pas de représentation significative dans le discours politique. Le projet de loi S-251 s’inscrit bien dans cette mission sur trois fronts. Premièrement, il répond à une préoccupation de longue date au sein des communautés canadiennes. Deuxièmement, il répond à un appel à l’action lancé dans le rapport final de la Commission de vérité et réconciliation. Troisièmement, il constitue une étape importante menant au respect de tous les engagements internationaux en matière de droits de la personne.
Je commencerai par dire que je suis fortement en faveur de ce projet de loi et que je nous exhorte à veiller à ce qu’il soit dûment examiné en comité, où les voix des Canadiens, notamment celle des enfants canadiens, peuvent être entendues.
Chers collègues, il est plus que temps d’abroger l’article 43 du Code criminel. Je tiens à féliciter notre collègue, le sénateur Kutcher, d’avoir présenté ce projet de loi, car de nombreuses versions de celui-ci ont été présentées au cours de la dernière décennie. En vérité, comme nous le savons tous, la persévérance et la persistance s’avèrent toujours nécessaires pour que de véritables changements se produisent. Il est temps de ramener cette question cruciale pour lui faire subir un nouvel examen dans le contexte d’aujourd’hui, en reconnaissant à nouveau les préoccupations des Canadiens, ainsi que la nécessité de répondre à la Commission de vérité et réconciliation et de respecter nos engagements internationaux.
Il y a quelques années, nous avons organisé une célébration virtuelle à l’occasion du 90e anniversaire de l’honorable Landon Pearson. Lors de cette discussion, elle a dit quelque chose que je savais et que vous savez, mais elle l’a communiqué d’une façon nouvelle et simple lorsqu’elle a dit : « Les parents n’ont pas de droits. Ils ont des responsabilités. Les parents n’ont pas de droits. Les enfants ont des droits. Les parents ont des responsabilités. »
J’appuie fermement l’idée d’aider les parents à prendre bien soin de leur famille. À cet égard, nous devons être sensibles au rôle que devrait jouer le gouvernement, mais on a parfois besoin de l’intervention d’institutions publiques pour protéger les droits des enfants. À ces moments-là, ces interventions devraient être les bienvenues.
C’est pourquoi nous avons des transferts de richesse, comme l’Allocation canadienne pour enfants, et des programmes importants comme les prestations spéciales de l’assurance-emploi, car ces programmes permettent aux institutions publiques d’aider les familles à s’épanouir.
Les parents sont censés être les gardiens principaux de leurs enfants et ont la responsabilité de les élever pour qu’ils mènent une vie saine, riche et productive. Dans un monde idéal, c’est ce qui se passerait dans toutes les familles. Mais, comme vous et moi le savons, la réalité est parfois différente. Il y a des moments où les institutions publiques doivent intervenir. Souvent, nous considérons qu’il s’agit de moments où les parents ne peuvent ou ne veulent pas assumer cette responsabilité. Je dirais qu’il faut aussi les considérer comme des moments où les droits des enfants et leur bien-être doivent être assurés et défendus.
Quels sont ces droits? Selon la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant, les enfants ont un large éventail de droits — tout comme les adultes — qui vont de la liberté d’utiliser leur langue et de la liberté de pensée religieuse à la protection contre la violence et les mauvais traitements. Le sénateur Kutcher a cité le paragraphe 1 de l’article 19 dans son discours en tant que parrain, et je vais le relire pour vous le rappeler :
Les États parties prennent toutes les mesures législatives, administratives, sociales et éducatives appropriées pour protéger l’enfant contre toute forme de violence, d’atteinte ou de brutalités physiques ou mentales, d’abandon ou de négligence, de mauvais traitements ou d’exploitation, y compris la violence sexuelle, pendant qu’il est sous la garde de ses parents ou de l’un d’eux, de son ou ses représentants légaux ou de toute autre personne à qui il est confié.
Chers collègues, le Canada est tenu de respecter la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant et de la mettre en œuvre intégralement. C’est l’un des nombreux aspects où nous manquons à ce devoir.
Dans les faits, l’article 43 fait le contraire en permettant que des enfants subissent certaines formes de violence physique. Nous ne pouvons plus rester les bras croisés. Ce projet de loi ne cible pas la personne qui empoigne un enfant pour le tenir à l’écart du danger ni celle qui restreint un enfant avec amour dans son siège d’appoint ou pour lui donner un bain. Il vise à supprimer le châtiment corporel comme forme de discipline parentale acceptée légalement alors qu’il n’existe aucune preuve de son efficacité.
Je passe aux observations de deux expertes : Daniella Bendo, professeure adjointe à l’Université King’s College, et Cheyanne Ratnam, présidente et cheffe de la direction de l’Ontario Children’s Advancement Coalition, un organisme qui se consacre aux enfants en foyer d’accueil. Mme Bendo soutient que :
L’article 43 du Code criminel du Canada justifie le recours à la force pour corriger les enfants au Canada et stipule que l’emploi de la force est fondé pour infliger une correction, pourvu que la force ne dépasse pas la « mesure raisonnable » dans les circonstances. Cette loi coloniale constitue une violation des droits des enfants à la protection et figure dans le Code criminel depuis 1892, malgré le fait que 63 pays ont interdit les châtiments corporels dans toutes les circonstances.
Il existe un grand nombre de recherches universitaires qui démontrent les effets négatifs des châtiments corporels sur les enfants, notamment les effets néfastes sur le comportement, le bien-être, la santé mentale, le développement cognitif et les relations des jeunes.
Elle a ensuite ajouté ceci :
En réalité, aucune recherche ne démontre que les châtiments corporels ont des effets positifs ou des avantages sur la santé ou le bien-être des enfants. De plus, aucune recherche n’a mis en évidence d’avantages à long terme des châtiments corporels sur les enfants. Le projet de loi S-251 est essentiel à la protection juridique des enfants canadiens contre les préjudices et la violence et représente les obligations du Canada envers les enfants sur le plan des droits de la personne.
Pour sa part, Mme Ratman a dit :
Le projet de loi S-251 est essentiel pour protéger les enfants contre les préjudices, et il incombe au système de mettre au point des mesures de soutien et des ressources adéquates pour favoriser la santé et le bien-être des familles. [L’article 43 du Code criminel] est archaïque et contre-intuitif. [Il représente une façon], en tant que pays, de soutenir une loi qui est fondée sur la blanchité, qui perpétue l’éclatement des familles, de communautés entières, et qui facilite l’effondrement de la culture et de l’identité dans les cas de séparations familiales forcées — notamment par l’entremise des services de protection de l’enfance et du système juridique. Ce dont les familles ont besoin, ce sont de ressources et de mesures de soutien adéquates, équitables, accessibles et adaptées à la culture, y compris des mesures de soutien en santé mentale, qui sont fondées sur la guérison et l’épanouissement de tous les membres de la famille en tenant compte de leurs différents besoins [...]
En somme, ces deux femmes accomplies affirment qu’il n’est plus acceptable moralement pour le Canada d’autoriser la violence contre les enfants tout en assumant un leadership moral sur la scène internationale ou en cherchant la réconciliation ici — en fait, une telle position n’a jamais été acceptable. Il y a une lacune dans le droit canadien, et elle doit être corrigée.
Il faut la corriger parce que rien ne prouve que l’utilisation de la punition corporelle est une façon efficace d’inculquer de meilleurs comportements aux enfants, comme l’a noté notre collègue le sénateur Kutcher lorsqu’il a parlé d’un article publié en 2021 dans The Lancet. Cet article portait sur l’analyse de 69 études longitudinales et en venait à une conclusion que nous connaissons tous : la fessée est nuisible.
Pour autant, régler ce problème n’est que le début du grand travail que nous devons entreprendre pour favoriser des familles en santé au pays. Les châtiments corporels, tels que sanctionnés par le Code criminel, sont symptomatiques d’un problème plus vaste.
En examinant cette question, ma première hypothèse est que la plupart des parents aiment leurs enfants et feraient tout pour en prendre soin et les aimer. La capacité des parents à le faire est érodée par de nombreux défis quotidiens, tels que le coût élevé du logement et de l’épicerie, les emplois mal payés, les pressions sur leur santé mentale causées par un traumatisme générationnel, et toute une série d’autres difficultés que vous et moi connaissons très bien.
De nombreux parents ont recours aux châtiments corporels parce qu’ils n’ont pas le temps, l’énergie, la capacité ni la compréhension nécessaires pour s’asseoir et parler avec leurs enfants, les éduquer en douceur ou utiliser d’autres méthodes de discipline positive. Ils n’ont tout simplement pas le temps, et le châtiment corporel peut être perçu comme le moyen de mettre fin à un comportement indésirable maintenant, de manière rapide. Je ne pense pas que ce soit parce que les parents sont de mauvaises personnes qui détestent leurs enfants. Je pense que, souvent, ils n’ont tout simplement pas le temps ni la compréhension nécessaires.
Ma deuxième hypothèse, c’est qu’il n’est pas nécessaire de frapper les enfants pour qu’ils apprennent. Quiconque prend le temps d’observer un enfant sera surpris et ébahi par toutes ses capacités. Les enfants ont le sens de l’observation et sont curieux et intelligents. Ils peuvent apprendre; on peut leur enseigner des choses. Nous devrions avoir pour objectif d’aider les parents, les familles et les collectivités à favoriser le développement moral et intellectuel des enfants dès leur plus jeune âge. Pour amener les enfants à adopter des comportements appropriés, les parents devraient leur parler, leur enseigner les comportements à adopter et les encourager. Les parents qui emploient des stratégies positives montrent aussi à leurs enfants que les mots employés de façon délibérée, avec patience, ont le pouvoir de changer le cœur et l’esprit d’une personne d’une façon plus profonde et plus durable que ne peuvent le faire des interventions physiques. C’est un pas important vers une vie adulte saine.
Je sais que beaucoup d’entre nous, même ici dans cette enceinte, ont eu affaire à des châtiments corporels quand ils étaient enfants. Pour certains, c’était bien pire que l’occasionnelle gifle, pincette ou torsion du bras, mais c’était certainement toujours violent. Pour être honnête, ce n’est pas un souvenir que nous évoquons avec tendresse, mais plutôt une chose dont nous nous sommes sortis et que nous avons endurée, et qui, pour certains, peut être acceptée comme faisant partie de ce qui a fait d’eux les êtres prospères et puissants qu’ils sont. Mais des séquelles silencieuses perdurent — quelque chose qui a eu un impact sur nous de manière subconsciente; une chose sur laquelle nous n’avons jamais mis le doigt, mais dont nous sentons encore la présence. Pour beaucoup, cette séquelle silencieuse reste une source de douleur toute la vie. Il se pourrait fort bien que nous soyons là où nous sommes malgré ce traitement, et non à cause de lui.
Il se peut que nous n’ayons jamais reçu de fessées provoquées par la colère, et que les châtiments aient toujours répondu au critère établi par la Cour suprême selon lequel cette punition doit être « raisonnable », mais cela ne veut pas dire que c’est une pratique acceptable, honorables collègues.
Je ne dis pas cela pour minimiser les situations que bon nombre d’entre nous ont vécues, mais pour nous amener à nous demander si les châtiments corporels peuvent être utiles et nous rappeler que ces châtiments ont des effets concrets et durables sur les enfants. C’est une question extrêmement personnelle pour bien des gens, et cette pratique a évidemment apporté son lot de cicatrices profondes ainsi que de blessures et de colères encore vives.
Abroger l’article 43 ne suffira pas. Honorables collègues, il faudra prendre des mesures concrètes si nous voulons améliorer le bien-être des familles et des enfants et faire respecter les droits de l’enfant.
J’aimerais dire quelques mots sur les expériences de nombreux États à l’échelle mondiale. Nous savons que de nombreux pays, comme la Suède, l’Allemagne et la Nouvelle-Zélande, ont interdit les châtiments corporels, et nous pouvons tirer des leçons de leur expérience. Dans ces pays, l’interdiction a fonctionné. Tous ces pays font état d’une baisse considérable des cas de châtiments corporels déclarés. En Allemagne et en Finlande, les cas ont chuté de près de 50 %. Par ailleurs, ces pays reconnaissent la nécessité de sensibiliser la population et de fournir une aide adéquate aux familles. Ils reconnaissent la nécessité d’aider les parents et les familles à trouver d’autres façons d’élever et de discipliner leurs enfants.
Je suis consciente de l’importance de ces facteurs et je recommande fortement que le gouvernement du Canada les prenne en considération et s’engage à consacrer l’argent nécessaire lorsque ce projet de loi sera adopté.
Enfin, les interdictions n’ont pas envoyé des parents qui ont donné la fessée à leurs enfants derrière les barreaux. Dans la plupart des pays, la conséquence d’avoir utilisé la punition corporelle consiste habituellement en un signalement aux services sociaux afin que les familles obtiennent le soutien dont elles ont besoin. Nous devrons agir dans le même sens ici, au Canada.
Chers collègues, je terminerai en disant qu’il nous incombe d’abroger l’article 43. J’appuie ce projet de loi de tout cœur et je me réjouis à la perspective de poursuivre la discussion au comité, avec votre aide. Merci, meegwetch.