Discours: Projet de loi S-212, sur la stratégie nationale pour les enfants et les jeunes

Propose que le projet de loi S-212, Loi concernant une stratégie nationale pour les enfants et les jeunes au Canada, soit lu pour la deuxième fois.

 — Honorables sénateurs, à quoi ressemble une enfance idéale? Notre vision d’un tel concept peut légèrement varier, mais je vais vous décrire la mienne.

L’enfance idéale, c’est celle où tous les enfants ont accès aux soins de santé dont ils ont besoin, quand ils en ont besoin. Aucun enfant ne languit pendant un an sur une liste en attente d’une opération importante ou encore doit se passer de ses médicaments parce que ses parents n’ont pas les moyens de les payer.

Chaque enfant se sent en sécurité tant au sein de sa collectivité qu’en ligne, où des mesures de protection sont en place pour assurer la sécurité des enfants et où il existe des mécanismes fiables pour mettre des bâtons dans les roues de ceux qui cherchent à leur nuire.

Chaque enfant est traité équitablement. Il sait que la couleur de sa peau et ses origines ne seront jamais utilisées pour le rabaisser ou l’empêcher de réaliser ses rêves.

Chaque enfant se sent respecté et écouté. Il connaît ses droits et sait quoi faire s’il estime que ses droits ont été bafoués.

Chaque enfant grandit en sachant que sa situation économique ne l’empêchera pas de réaliser ses rêves, car tous les enfants ont les mêmes chances d’apprendre et de s’épanouir. Chaque enfant mérite de grandir dans un milieu sûr, agréable et sain.

Malheureusement, ce n’est pas le cas dans le Canada d’aujourd’hui.

Lorsqu’il s’agit des enfants et des jeunes, nous concevons les politiques sans avoir à l’esprit des résultats clairs. Nous mettons en œuvre des programmes sans prévoir les ressources nécessaires pour apporter des changements concluants. Nous ne soutenons pas la collaboration intersectorielle et nous n’écoutons pas ceux qui ont le plus besoin d’aide.

Le Canada n’a pas de vision pour la santé et le bien-être des enfants et des jeunes. Par conséquent, ils doivent se contenter d’un ensemble disparate de programmes, de mesures d’aide et de prestations, ce qui laisse beaucoup trop d’entre eux passer entre les mailles du filet.

Nous laissons tout simplement tomber nos enfants. Nous pouvons et nous devons faire mieux. C’est pourquoi je suis fière de présenter de nouveau mon projet de loi S-212, la stratégie nationale pour les enfants et les jeunes.

Chers collègues, bon nombre d’entre vous connaissent déjà ce projet de loi. Je l’ai présenté lors de la législature précédente sous le numéro S-282, et il est passé à l’étape de l’étude en comité le 4 juin 2024, soit il y a exactement un an aujourd’hui.

Soyons clairs, ce projet de loi ne crée pas la stratégie. Il définit plutôt un cadre qui permettra au gouvernement d’élaborer une stratégie globale pour les enfants et les jeunes au Canada. Cette stratégie doit cerner les domaines dans lesquels nous échouons auprès des enfants et ceux dans lesquels nous réalisons des progrès marqués. Nous ne pouvons pas nous améliorer si nous ne savons pas où nous en sommes.

Le projet de loi propose que la stratégie soit assortie d’objectifs définis et d’indicateurs quantifiables pouvant être utilisés pour évaluer les progrès réalisés dans la poursuite de ces objectifs.

Enfin, la stratégie doit proposer un plan d’action détaillé pour respecter notre obligation de fournir à chaque enfant au Canada l’enfance qu’il mérite.

Honorables collègues, je tiens à dire clairement que ce projet de loi respecte la Constitution et la Charte des droits et libertés. En fait, il garantirait une meilleure protection des droits des enfants et des jeunes partout au Canada en se concentrant davantage sur leurs droits.

Le projet de loi S-212 n’affecte pas de fonds, car il ne dicte pas la stratégie à adopter. Il appartiendrait au gouvernement de déterminer le contenu de la stratégie et, par la suite, de déterminer les investissements supplémentaires nécessaires, comme c’est habituellement le cas avec un projet de loi-cadre.

Comme on exige que le gouvernement fédéral travaille avec les autres pouvoirs publics dans des dossiers qui sont de son ressort, la portée du projet de loi respecte les champs de compétence fédéraux et notre système de fédéralisme coopératif.

Trop souvent, lorsque nous parlons des jeunes dans les milieux politiques, nous nous concentrons sur des programmes individuels, qu’il s’agisse de l’Allocation canadienne pour enfants, du principe de Jordan ou des services de garde et d’éducation préscolaire. Nous examinons les problèmes qui touchent les enfants en vase clos et nous tenons pour acquis que des solutions ciblées suffiront. Cependant, avec le recul, peut-on dire que ces efforts ont vraiment amélioré les choses?

Chers collègues, si vous m’avez écoutée parler l’année dernière, je pense qu’il est clair pour vous tous que nous ne répondons pas suffisamment aux besoins des enfants au Canada. En mai de cette année, l’UNICEF a publié son 19e bilan qui mesure le bien-être des enfants et des jeunes dans les pays riches à l’aide de six indicateurs. Les dernières données ne sont pas encourageantes. Le Canada est désormais classé 19e sur 36 pays et a pris du retard par rapport à de nombreux autres pays dans la plupart des aspects de la vie des enfants. Ces données montrent que les progrès réalisés par les enfants au Canada ont largement stagné. Franchement, ce n’est pas suffisant.

Trop d’enfants sont encore laissés pour compte, malgré les nombreux programmes formidables que nous avons mis en œuvre et malgré les efforts et l’argent investis. La raison principale derrière cette situation est que nous n’agissons pas stratégiquement. Nous essayons d’assembler un casse-tête sans savoir à quoi ressemble l’image ni même si nous disposons des bons morceaux.

Pour illustrer ce que je veux dire, je souhaite explorer quelques domaines critiques où notre approche actuelle est défaillante, et démontrer le potentiel transformateur d’une stratégie nationale pour les enfants et les jeunes. Il existe de nombreux exemples dans lesquels le Canada, comme pays, s’est fixé des objectifs, mais a omis de se doter d’un plan pour les atteindre.

Par exemple, en 1989, la Chambre des communes a adopté une résolution promettant d’éliminer la pauvreté chez les enfants avant l’an 2000. Vingt-cinq ans après cette date butoir, où en sommes-nous dans la réalisation de cet objectif? Eh bien, les taux de pauvreté chez les enfants au Canada n’ont fait qu’empirer depuis la dernière fois que nous avons discuté de ce projet de loi, ils ne se sont pas améliorés.

Le rapport de 2024 de Campagne 2000 sur la pauvreté des enfants et des familles au Canada souligne que, en 2021 et 2022, plus de 195 000 enfants ont été plongés dans la pauvreté en l’espace d’un an seulement. Il est alarmant de constater que la hausse de 2,5 points de pourcentage de la pauvreté des enfants au cours de cette période représente la plus forte augmentation annuelle jamais enregistrée au Canada.

Pour les enfants, grandir dans la pauvreté peut avoir des conséquences dévastatrices. La pauvreté signifie que les besoins fondamentaux des enfants, tels qu’un logement stable, l’accès à une éducation de qualité et la sécurité alimentaire, ne sont pas satisfaits. La pauvreté peut avoir un impact dévastateur sur le bien-être d’un enfant et sa capacité à s’investir pour apprendre, acquérir des compétences et accéder à des possibilités. La pauvreté est une violation du droit de l’enfant à un niveau de vie suffisant.

Pourtant, il est clair que les programmes fédéraux visant à éliminer la pauvreté chez les enfants ont échoué. Plus de 25 ans après l’échéance fixée dans la résolution de 1989, près d’un enfant sur cinq au Canada vit dans la pauvreté. Cet exemple prouve qu’il ne suffit pas de fixer un objectif. Il faut établir une stratégie qui dépasse le simple énoncé d’un objectif et qui prévoit un plan d’action clair, mesuré à l’aide d’une série d’indicateurs. Cette stratégie permettrait d’évaluer régulièrement l’efficacité de nos actions et de déterminer si nous devons changer de cap.

Voici un autre exemple illustrant comment nous manquons à nos obligations envers nos enfants. Depuis la dernière présentation de ce projet de loi, nous avons approfondi notre compréhension des défis qui affectent la santé des enfants au Canada. En mai 2024, le Comité permanent de la santé de la Chambre des communes a publié son rapport tant attendu sur la santé des enfants. Ce rapport dresse un tableau inquiétant d’un système de santé qui croule sous le poids de problèmes systémiques de longue date qui s’accumulent depuis des décennies. Le rapport conclut que notre système de santé pédiatrique est en crise.

En matière de santé mentale, le rapport souligne qu’environ 1,2 million d’enfants souffrent d’une maladie mentale, mais que moins de 20 % des jeunes qui ont besoin d’un traitement y ont accès. Il indique également que le Canada a « l’un des taux de suicide chez les adolescents les plus élevés du monde développé », citant l’UNICEF, qui, en ce qui concerne le suicide chez les adolescents, classe le Canada au 33e rang parmi 42 pays.

En 2022, plus de 20 000 enfants étaient en attente d’une intervention chirurgicale, selon 7 des 16 hôpitaux pédiatriques du Canada, et près de la moitié d’entre eux avaient dépassé le délai d’intervention, ce qui entraîne souvent des conséquences négatives inévitables à long terme pour la santé. Nous nous classons au 25e rang parmi 43 pays en matière de mortalité infantile.

Ces problèmes qui affectent le système de santé pédiatrique ne sont pas isolés. Ils sont les symptômes interdépendants d’un système souffrant d’un sous-financement chronique et de négligence. Il nous faut une approche stratégique qui place la santé et le bien-être des enfants au premier plan. Ce qui est plus inquiétant, c’est que nous manquons souvent des données nécessaires pour comprendre ces enjeux, connaître l’ampleur du problème et trouver des solutions fondées sur des données probantes. Le Canada est le seul pays de l’OCDE qui ne recueille pas chaque année des données sur la santé et le bien-être des enfants. C’est franchement irresponsable, car, sans ces données, comment pouvons-nous avoir une idée précise de la situation et, à plus forte raison, y remédier? Comment déterminer si nous faisons des progrès ou même si nos interventions sont efficaces?

C’est pourquoi nous avons besoin d’une stratégie nationale qui, en plus de fixer des objectifs clairs, établira un processus pour mesurer les résultats. Sinon, nous avancerons à l’aveuglette. La santé de nos enfants est trop importante pour être laissée au hasard. Une stratégie nous sortirait de l’obscurité et nous aiderait à prendre des mesures ciblées et efficaces.

Chers collègues, ce ne sont pas seulement les problèmes de longue date qui requièrent notre attention. Nous devons aussi chercher à comprendre et à traiter de façon proactive les nouveaux enjeux en pleine évolution avec lesquels les enfants doivent composer. Si l’essor de l’intelligence artificielle est à bien des égards passionnant, il présente également des risques évidents pour les enfants et les jeunes. Je pense ici aux préoccupations grandissantes concernant l’utilisation des robots conversationnels par les enfants. Ces robots comportent des risques pour les enfants. Par exemple, il est vraiment problématique que des jeunes enfants soient exposés à des contenus hypersexualisés par des robots conversationnels. Ces robots peuvent aussi faire aux enfants des recommandations contraires à la sécurité. Ils peuvent influencer leur comportement, ce qui mène parfois à des résultats tragiques. Je pense ici à un adolescent de 14 ans, de la Floride, qui s’est suicidé après avoir tissé, pendant plusieurs mois, une relation virtuelle intense avec un robot conversationnel. La poursuite intentée par sa mère est toujours devant les tribunaux; elle cherche à faire valoir que le robot conversationnel aurait joué un rôle dans le suicide de son fils. On peut aussi penser à cette fillette de 10 ans à qui l’appareil Alexa de la famille a dit de mettre un sou noir dans une prise électrique sous tension.

Il y a une augmentation de la pornographie juvénile générée par l’intelligence artificielle, connue sous le nom technique de matériel d’abus pédosexuels. Il y a une augmentation de la quantité et de la diversité de ce contenu réaliste et explicite créé par l’intelligence artificielle et impliquant des enfants, disponible en ligne et utilisé pour extorquer de l’argent et exploiter des enfants. Les experts nous ont prévenus que la croissance rapide des faux contenus pourrait surcharger les ressources d’enquête et faire en sorte qu’il soit plus difficile pour les forces de l’ordre d’identifier et de protéger les vraies victimes, ce qui mettrait nos enfants en danger.

Bien que l’intelligence artificielle puisse avoir une série d’avantages possibles pour les enfants — allant des systèmes d’apprentissage personnalisés aux outils favorisant une plus grande accessibilité pour les enfants handicapés, qui pourraient améliorer la vie des enfants au Canada —, ce dont nous avons besoin, c’est d’une approche équilibrée et axée sur l’enfant qui maximise les avantages de l’intelligence artificielle et qui atténue ses préjudices. Une stratégie pourrait nous aider à atteindre ces objectifs, à comprendre la véritable ampleur des problèmes qui ont une incidence sur la sécurité de nos enfants, à en cerner les causes et à déterminer où nos efforts actuels échouent.

Chers collègues, notre approche actuelle ne fonctionne pas. Nous n’avons pas de vision unifiée pour nos enfants ni de compréhension commune de ce à quoi nous travaillons. Nous devons établir des objectifs nationaux clairs pour le bien-être de nos enfants. Sans une stratégie claire et coordonnée, nous n’apporterons jamais les changements durables que nos enfants méritent.

Une stratégie nationale nous permettrait de passer d’un système disparate de solutions à court terme à un plan qui répond réellement aux besoins des jeunes. Cette stratégie nationale pourrait accomplir principalement trois choses : établir des objectifs clairs que nous voulons atteindre pour nos enfants, créer un plan pour atteindre ces objectifs et inclure un mécanisme d’évaluation et nous permettre de travailler systématiquement à un avenir où chaque enfant au Canada aura tout ce dont il a besoin pour survivre.

Définir clairement nos priorités permettrait également de garantir la coordination et la reddition de comptes des gouvernements, des prestataires de services et des organismes de la société civile.

Nous pouvons maximiser l’efficacité de nos efforts actuels en tirant parti des synergies entre eux, en profitant des possibilités de coordination, en suivant nos progrès, en recueillant des données liées à des objectifs précis, en comprenant le rendement de notre investissement, en prenant des décisions éclairées et en ajustant notre approche au besoin. Imaginons que cela se produise.

Tout cela pourrait s’aligner sur une priorité importante du gouvernement, qui, comme la lettre de mandat du premier ministre l’indique, consiste à réduire les dépenses liées aux opérations gouvernementales. En définissant clairement nos objectifs et en évaluant rigoureusement l’efficacité de nos interventions pour les atteindre, nous veillerons à ce que chaque dollar soit bien dépensé et à ce qu’aucun enfant ne soit laissé pour compte.

Nous ne devons pas avoir peur de rendre des comptes. Nous devons savoir quand nos efforts échouent. La collecte régulière de données sur nos efforts garantira que l’argent est dépensé sur ce qui fonctionne, et pas seulement sur ce qui a l’apparence d’être une bonne chose. Une stratégie nationale fondée sur des données probantes nous aiderait à cibler les interventions les plus efficaces, à leur affecter les ressources nécessaires et à combler les lacunes qui laissent trop d’enfants pour compte.

Bien franchement, chers collègues, ce n’est pas une idée nouvelle. En fait, le Canada a du retard à ce chapitre.

Plus de la moitié des 38 pays de l’OCDE ont des documents de politique générale qui décrivent l’approche adoptée par leur gouvernement pour favoriser les résultats positifs pour les enfants selon plusieurs marqueurs du bien-être. L’Irlande en est un exemple. En 2014, l’Irlande a lancé Better Outcomes, Brighter Futures, un cadre national de six ans conçu pour améliorer la vie des jeunes Irlandais et pour établir un ensemble commun d’objectifs pour tous les ministères, les services publics et le secteur communautaire et bénévole afin qu’ils travaillent ensemble.

Ce pays a intégré la voix des enfants dans l’élaboration de ces politiques, ce qui a permis de garantir que leurs points de vue soient entendus et pris en considération. Il a élaboré un cadre axé sur des domaines clés, notamment la santé, l’apprentissage et l’engagement continu. Il a adopté un cadre structuré et axé sur les résultats, assorti d’indicateurs clairs pour suivre les progrès accomplis et de rapports périodiques qui analysent les questions émergentes et formulent des recommandations pour des changements futurs.

Cette approche rigoureuse a permis au gouvernement irlandais de suivre les progrès réalisés, de cerner les lacunes et de modifier ses politiques en conséquence. Elle a abouti à des améliorations concrètes dans des domaines clés et à l’identification des domaines nécessitant des améliorations.

L’Irlande a pu dresser un portrait complet de l’effet de ses efforts. Son succès ne réside pas seulement dans les progrès réalisés, mais aussi dans la mise en place d’un système responsable fondé sur des données qui a permis de déterminer clairement ce qui fonctionnait et ce qui ne fonctionnait pas.

C’est le genre d’approche dont le Canada a désespérément besoin. Nous devons reconnaître le travail accompli par nos prédécesseurs. Une approche stratégique a été annoncée et proposée en 2004. Intitulée Un Canada digne des enfants, cette approche stratégique a été lancée sous la direction de l’honorable Landon Pearson, qui a cerné des champs d’action prioritaires et cherché à promouvoir et à protéger les droits des enfants.

S’il s’agissait d’un important point de départ et d’un incroyable pas en avant à l’époque, ce document ne contenait que des principes et des champs d’action généraux. À vrai dire, il ne mentionnait ni interventions ni résultats spécifiques et concrets, et il ne prévoyait aucun plan de collecte de données. Surtout, il n’était pas pérenne et ne prévoyait ni mécanismes de reddition de comptes ni mise à jour régulière.

Comprenez-moi bien : nous sommes redevables à ceux qui ont travaillé dur pour rendre cela possible. C’est maintenant à notre tour de poursuivre dans la voie qu’ils ont tracée.

Depuis, on a mis sur pied plusieurs programmes importants qui montrent que l’on peut agir de façon ciblée et qui montrent ce que l’on peut accomplir en changeant les choses. L’Allocation canadienne pour enfants est un bon début. C’est un exemple marquant. Il s’agit d’une prestation qui offre un soutien financier direct aux familles avec enfants. Depuis son instauration, elle a sorti des centaines de milliers d’enfants de la pauvreté.

Cependant, la récente augmentation des taux de pauvreté infantile depuis la COVID nous rappelle de manière cruciale que les progrès sont souvent fragiles. Nous ne pouvons pas nous permettre de nous reposer sur nos lauriers. Même si nous savons que l’Allocation canadienne pour enfants est un outil efficace, nous ne comprenons pas pleinement son potentiel. Jusqu’où devons-nous aller? Jusqu’où pouvons-nous aller? Utilisons-nous cet outil de la manière la plus efficace possible? Passons-nous à côté d’occasions que nous pourrions saisir?

Les services d’éducation préscolaire et de garde d’enfants constituent un autre domaine où l’on a fait des progrès récemment. C’est important parce que l’accès à des services d’éducation préscolaire de qualité, abordables et inclusifs est essentiel au développement des enfants.

Nous sommes déjà en mesure de suivre les progrès réalisés. Plus de la moitié des provinces et des territoires ont mis en place des services de garde réglementés coûtant en moyenne 10 $ par jour. Là où cette cible n’a pas encore été atteinte, les frais ont été réduits de 50 %. Cependant, sans stratégie à long terme, des défis demeurent. Des fournisseurs de services de garde de partout au Canada m’ont dit que le financement n’est pas encore suffisant pour maintenir des programmes de qualité et conserver le personnel.

Pour réussir, nous avons besoin d’une approche stratégique axée sur le bien-être des enfants qui considère l’éducation préscolaire comme un des nombreux outils qui permettront aux enfants et aux jeunes d’atteindre leur plein potentiel.

Le principe de Jordan et l’initiative Les enfants inuits d’abord soulignent également l’importance des mesures ciblées. Ces programmes visent à garantir que les enfants inuits et des Premières Nations reçoivent les services de santé, les services d’éducation et les services sociaux dont ils ont besoin sans que des conflits de compétence entraînent des retards préjudiciables.

Bien que ces programmes aient changé la vie de nombreuses personnes, leur mise en œuvre est incohérente, il y a des retards dans le traitement des demandes, des dossiers sont au point mort et l’admissibilité pose problème. On applique souvent les critères de manière trop restrictive, alors certains enfants sont laissés pour compte et ne bénéficient pas du soutien dont ils ont besoin. Ces programmes sont essentiels, mais ils doivent s’inscrire dans un cadre plus solide pour garantir que chaque enfant admissible reçoive un soutien complet en temps opportun.

J’insiste sur ce point. Si nous fixons des objectifs mesurables, que nous investissons dans des programmes efficaces et que nous nous engageons à évaluer nos progrès plutôt que de seulement les quantifier, nous obtiendrons des résultats. Jusqu’à présent, nos succès sont demeurés limités et nos interventions sont réactionnaires. Une stratégie nationale permettrait de coordonner les efforts, de combler les lacunes et de garantir que chaque enfant peut s’épanouir. C’est désormais au tour du Canada de prendre le relais pour les enfants.

En 2023, j’ai publié un rapport collaboratif portant sur les jeunes, intitulé D’une vision à la réalité : Sur une stratégie nationale pour les enfants et les jeunes au Canada. Ce rapport était le fruit d’une série de tables rondes avec des jeunes et des intervenants d’un bout à l’autre du Canada sur l’importance d’une stratégie nationale et sur la forme qu’elle pourrait prendre.

Les participants incluaient des enfants, des représentants d’organisations de défense des droits des enfants et des représentants d’organisations autochtones. Depuis le début, ce projet de loi a été modelé par ce rapport et les parties prenantes qu’il représente, et il s’aligne complètement avec leurs recommandations.

Les participants nous ont envoyé un message clair : le Canada a besoin d’une stratégie nationale. Ils ont déclaré que l’infrastructure gouvernementale actuelle pour les enfants et les jeunes ne répondait pas aux attentes des jeunes Canadiens et que les budgets fédéraux ne sont pas suffisamment axés sur les jeunes.

Ils ont clairement indiqué que l’absence de stratégie globale crée un système de soutien disparate qui fait en sorte que de nombreux enfants sont abandonnés à leur sort. Ils ont parlé de ce que devrait comprendre une stratégie. Ils ont recommandé au gouvernement de procéder à une consultation exhaustive à l’échelle du pays afin de répondre adéquatement à cette question.

Ils ont clairement indiqué que la stratégie devait adopter une approche fondée sur les droits, en s’inspirant de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant. L’alinéa 4(2)a) du projet de loi, à l’article 4, qui décrit les lignes directrices, est le reflet de cette demande. L’alinéa précise que les objectifs de la stratégie doivent être en entière conformité avec la Convention relative aux droits de l’enfant des Nations Unies et avec les protocoles facultatifs ratifiés par le Canada, ainsi qu’avec les dispositions de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones concernant les enfants et les jeunes. Je sais que nous convenons tous de l’importance de ces mesures, chers collègues.

La nécessité de définir des objectifs et des résultats précis, mesurables et ambitieux relativement aux jeunes faisait également consensus. Les participants ont également précisé que la stratégie devrait permettre de recueillir, d’analyser et de communiquer des données, notamment des données désagrégées. Ainsi, le reste du paragraphe 4(2) décrit les autres exigences relatives au contenu de la stratégie, notamment la définition d’objectifs et d’indicateurs quantifiables pour mesurer les progrès accomplis, l’élaboration d’un plan détaillé pour atteindre les objectifs non atteints et l’énumération des ressources nécessaires à sa mise en œuvre.

Le paragraphe 4(3) précise qui doit être consulté. Quand on a demandé qui devrait participer à l’élaboration de la stratégie, un participant a déclaré ce qui suit :

Les jeunes ont du mal à amener les personnes en position d’autorité à les écouter, à respecter leur point de vue et à tenir compte des expériences qu’ils ont vécues.

C’est pourquoi les enfants et les jeunes sont les premiers sur la liste des personnes à consulter dans le cadre du processus d’élaboration d’une stratégie.

Les intervenants ont dit clairement que l’action unilatérale du gouvernement fédéral ne serait pas suffisante pour combler les lacunes en ce qui concerne les enfants au Canada. Le projet de loi demande au ministre de consulter les gouvernements provinciaux et les administrations municipales, les représentants des corps dirigeants autochtones et d’autres intervenants concernés. Ce faisant, le gouvernement doit délibérément chercher des voix qui reflètent la diversité des enfants et des jeunes au Canada ainsi que leurs expériences, malgré les difficultés à obtenir l’avis de certaines de ces communautés. Cette liste est loin d’être exhaustive, et le projet de loi invite le ministre désigné à consulter toute autre personne lorsqu’il le juge opportun.

La reddition de comptes est également d’une importance cruciale, et elle était une préoccupation majeure pour les intervenants. Par conséquent, les articles 5 à 7 prévoient plusieurs mesures de surveillance et de reddition de comptes, y compris des mesures de surveillance publique, des mesures de surveillance parlementaire à l’égard de la mise en œuvre de la stratégie et un mécanisme pour examiner les plaintes des enfants et des jeunes au sujet de la mise en œuvre. Le projet de loi exige que le ministre dépose un rapport d’étape tous les six mois jusqu’à la publication de la stratégie. Cela donnera au public un aperçu des progrès concernant l’élaboration de la stratégie tout en donnant aux jeunes, aux intervenants et aux autres personnes qui estiment que leur point de vue n’a pas été pris en considération le temps de participer aux consultations avant qu’elles ne prennent fin.

La stratégie doit être publiée dans les deux ans suivant la sanction royale. Conformément à l’appel lancé par les parties intéressées réclamant des révisions régulières de la stratégie, le projet de loi prévoit un examen tous les cinq ans, afin que la stratégie reste pertinente face à l’évolution des défis auxquels sont confrontés les enfants et les jeunes.

Chers collègues, dès leur naissance, les enfants considèrent les adultes qui les entourent comme des mentors et des guides, une main secourable et une étoile qui les guide dans leur découverte du monde qui les entoure et de la capacité qu’ils ont à le façonner, pour créer un havre de paix où ils peuvent grandir, apprendre et s’épanouir.

En tant que parlementaires, nous jouons un rôle similaire, mais à plus grande échelle. Il nous incombe d’éliminer les obstacles, de veiller à ce que ceux qui ont pris du retard reçoivent le soutien nécessaire pour le rattraper, et de veiller à ce que chaque enfant ait le sentiment que ses rêves sont réalisables. Ce n’est pas une mince affaire. Il faudra déployer des efforts considérables pour bien faire ce travail et veiller à ce que les progrès accomplis ne soient pas perdus. Je sais que nous sommes prêts à relever le défi. Or, nous ne pouvons pas continuer comme avant.

Pendant trop longtemps, nous nous sommes contentés d’un ensemble disparate de demi-mesures. Nous avons laissé notre système de soins pédiatriques s’effondrer sous le poids de décennies de sous-financement. Nous avons laissé d’innombrables enfants grandir dans la pauvreté. Nous n’avons pas su nous adapter à notre époque et assurer la sécurité en ligne des plus vulnérables. À bien des égards, nous avons laissé tomber les jeunes Canadiens, mais nous pourrions changer la donne.

L’élaboration d’une stratégie nationale pour les enfants et les jeunes serait porteuse de changements. Avec une vision d’un avenir où chaque enfant peut s’épanouir et un plan pour y parvenir, nous pouvons bâtir un monde digne de nos enfants. Il est temps de passer à l’action. Si vous êtes d’accord, chers collègues, je vous invite à appuyer le projet de loi S-212. J’ai hâte d’entendre d’autres sénateurs discuter de cette mesure législative et de voir le Sénat la renvoyer au comité pour une étude plus approfondie. Merci. Meegwetch.

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