Interpellation - La hausse alarmante des infections transmissibles sexuellement et par le sang
Honorables sénateurs, je vous retiens loin de vos lits. Je vous prie de m’en excuser. Toutefois, je suis honorée aujourd’hui de contribuer à cette interpellation sur la question cruciale de santé publique que constituent les infections transmissibles sexuellement et par le sang, qu’on appelle aussi ITSS, au Canada.
Pour commencer, je tiens à remercier le sénateur Cormier pour le leadership dont il a fait preuve dans ce dossier. Dans son discours d’ouverture, le sénateur Cormier nous a parlé de la situation critique où l’on se trouve en matière de prévention, de diagnostic et de traitement des infections transmissibles sexuellement et par le sang, surtout du VIH.
Dans le peu de temps qui m’est imparti, je souhaite me concentrer plus particulièrement sur les répercussions des infections transmissibles sexuellement et par le sang sur les enfants, car, même si cela peut surprendre, ces infections peuvent avoir des répercussions qui changent la vie des enfants et des jeunes — ce que j’ai moi-même pu constater en tant que pédiatre et spécialiste des nouveau-nés.
Je tiens d’abord à réfuter la fausse idée voulant que les infections transmissibles sexuellement et par le sang ne touchent que les personnes actives sexuellement. En fait, la transmission de la mère à l’enfant peut se produire dans l’utérus, avant la naissance de l’enfant, et elle a des conséquences dévastatrices. Par exemple, la mort du fœtus, ou mortinaissance, survient dans environ 30 à 40 % des grossesses lorsque la mère est atteinte d’une syphilis non traitée. Les enfants qui survivent peuvent souffrir de troubles neurologiques, d’anomalies osseuses et de surdité. Même les bébés qui n’ont pas d’infection congénitale transmissible sexuellement et par le sang à la naissance, mais qui sont exposés à un risque d’infection, doivent subir des tests exhaustifs qui comportent des risques et peuvent être très invasifs.
Nous devons nous en préoccuper, car, entre 2018 et 2022, le taux de syphilis congénitale a augmenté de 599 % — vous m’avez bien entendue — selon le Relevé des maladies transmissibles au Canada de 2022. Il est donc urgent que les autorités de santé publique s’assurent que la prévention, le dépistage et les traitements sont largement accessibles.
On reconnaît dans une certaine mesure qu’il est nécessaire de s’attaquer à ce problème. Dans son discours, le sénateur Cormier a parlé du cadre d’action pancanadien sur les ITSS et du plan d’action sur les infections transmissibles sexuellement et par le sang, qui ont fixé des objectifs cruciaux pour le Canada, notamment aucune nouvelle infection par le VIH, aucun décès lié au sida et une réduction de 90 % de l’incidence de la syphilis et de la gonorrhée d’ici 2030.
Évidemment, les statistiques présentées tout à l’heure nous montrent que, malgré les politiques et les plans d’action, la situation se dégrade. C’est entre autres parce que nous n’arrivons pas à fournir aux adolescentes et aux jeunes mères les soins dont elles auraient besoin. Les lignes directrices sur le dépistage et les recommandations relatives aux traitements ne suffisent pas pour que soient offerts, au Canada, des soins prénataux et des traitements contre les infections transmissibles sexuellement et par le sang en quantité suffisante.
Parmi les 3 700 bébés nés avec la syphilis en 2022, la mère n’avait reçu aucun soin prénatal dans 40 % des cas.
La dégradation de la situation peut également s’expliquer par l’accent mis sur la prévention du VIH dans la publicité visant à promouvoir les pratiques sexuelles sans risque au Canada, alors que des maladies comme la syphilis, la chlamydia et la gonorrhée sont largement négligées. Je dirais que ce déséquilibre a engendré une perception dans le public qui cause un certain abandon des pratiques sexuelles sans risque et de l’usage du préservatif, en particulier depuis la fin de la pandémie. Les efforts de prévention des infections transmissibles sexuellement et par le sang ont diminué.
Le dépistage aurait certainement été utile pour inverser cette tendance, et l’inaction coûte cher.
Selon une étude réalisée en 2021 au Manitoba, le coût direct à court terme du traitement d’un seul cas sans complication de syphilis congénitale atteint presque 20 000 $. En 2021, les 81 cas qui se sont produits ont entraîné une dépense totale de 1,5 million de dollars. Voilà ce qu’a coûté cette maladie au système de santé du Manitoba en seulement un an. Par comparaison, un dépistage prénatal systématique parmi les 16 800 grossesses qui se produisent chaque année au Manitoba coûterait moins de 140 000 $. La différence de prix entre la prévention et le traitement est considérable.
Il est clair qu’accroître le dépistage préventif est avantageux pour réduire les coûts. Le Canada n’a pas réussi à éradiquer ou atténuer la propagation des infections transmissibles sexuellement et par le sang, ce qui nous place devant une question importante: comment pouvons-nous nous assurer que les femmes, les enfants et les adolescents de partout au Canada puissent avoir accès aux services de dépistage des infections transmissibles sexuellement et par le sang et aux traitements dont ils ont besoin?
Le Plan d’action 2024-2030 du gouvernement du Canada sur les infections transmissibles sexuellement et par le sang résume les stratégies essentielles, comme faciliter l’accès aux tests et améliorer la surveillance des données. Cependant, nous gagnerions à essayer de nous inspirer des pays comparables au nôtre. À dire vrai, le Canada n’est pas le seul à souffrir de lacunes dans les services de santé-sexualité.
La pandémie de COVID-19 a fait reculer de nombreux pays, qui indiquent avoir connu une baisse des tests de prévention et des services de traitement des infections transmissibles sexuellement. Ces infections sont donc en hausse dans le monde. Les pays qui se montraient auparavant efficaces dans la surveillance des infections transmissibles sexuellement, comme le Royaume-Uni et les États-Unis, affichent, eux aussi, une hausse des infections transmissibles sexuellement et par le sang. Par exemple, une souche hautement résistante de gonorrhée est de plus en plus signalée dans des pays comme l’Australie, le Danemark, la France, l’Irlande et le Royaume-Uni.
Nous voyons donc que le Canada n’est pas le seul à rencontrer les mêmes difficultés et que nous pouvons tirer des leçons des réussites et des échecs de ces pays. L’Allemagne a obtenu de bons résultats avec la campagne LIEBESLEBEN, un titre qui signifie « vie amoureuse ». Depuis près de 40 ans, cette campagne allie la publicité dans les médias de masse et les communications personnelles afin de cibler des groupes précis et de les sensibiliser aux risques et aux répercussions des infections transmissibles sexuellement et par le sang. La communication créative, par exemple avec des bandes dessinées dans les espaces publics et des messages dans les médias sociaux, fait partie intégrante de cette campagne. Cibler intentionnellement des groupes de la société canadienne parmi lesquels les infections transmissibles sexuellement et par le sang sont en hausse pourrait nous aider à combler les lacunes dans l’éducation et la sensibilisation de ces groupes.
La conversation que nous avons au Canada sur les infections transmissibles sexuellement et par le sang doit évoluer. Nous devons donner la priorité aux ITSS dans notre système d’éducation, de la même manière que nous accordons de l’attention à la nutrition, à l’exercice physique et à une bonne santé mentale. En tant que pays, nous avons besoin de programmes de dépistage plus solides. Nous devons améliorer l’accès aux soins prénatals, en particulier pour les mères défavorisées et dans les régions rurales et éloignées.
J’aimerais m’inspirer d’un exemple britannique. Dans A Framework for Sexual Health Improvement in England, on parle notamment de la technologie pour soutenir l’autogestion de la santé. Par exemple, l’outil en ligne My Contraception Tool aide les gens à choisir la méthode de contraception qui leur convient le mieux, et la ressource en ligne myHIV aide les gens à gérer certains aspects de leur VIH.
Afin de réussir à réduire les taux d’ITSS au Canada, les services de santé sexuelle devraient être adaptés aux besoins des jeunes et s’attaquer aux défis uniques auxquels les jeunes sont confrontés lorsqu’ils cherchent à obtenir des soins. Je crois que pour diminuer les ITSS au Canada, nous devons appuyer des stratégies novatrices en matière d’éducation sexuelle, de lutte contre la stigmatisation et de dépistage préventif.
Nous avons été témoins de l’importance des infrastructures sanitaires et de la nécessité d’investir dans les soins de santé et l’éducation.
Honorables collègues, les efforts continus déployés à l’échelle nationale pour s’attaquer au problème des ITSS au Canada me semblent utiles. Il reste encore beaucoup à faire pour que tous les Canadiens aient facilement accès aux programmes de dépistage et aux traitements dont ils ont besoin.
Je suis consciente que certains groupes sont particulièrement vulnérables : les peuples autochtones, les communautés marginalisées et les personnes qui font face à des barrières sociales, comme l’itinérance, la toxicomanie et l’incarcération. À cet égard, je tiens à souligner la nécessité de rapidement mettre en œuvre des politiques concrètes et des programmes pour soutenir les personnes qui ont de la difficulté à accéder aux soins.
Il est temps d’agir. Ne nous contentons pas d’être sur la bonne voie; montrons la voie dans la lutte contre les ITSS, en tirant des leçons des expériences mondiales et en assurant un meilleur avenir à tous les Canadiens. Merci.